Dellamorte dellamore Sharon
Mais qu'avez-vous fait à Sharon ?
Inferno
D’avoir avec Inferno offert au 7ème art tout à la fois un opéra et un cauchemar, Argento offrait au spectateur un spectacle grandiose et un voyage hallucinogène à n’en croire ni ses oreilles ni ses yeux, ni son coeur ni son cerveau. D’ordinaire rompus à moins d’ampleurs et à moins de couleurs, à moins de convulsions et à moins de contradictions, à moins de secousses et à moins de paniques. D’avoir voulu célèbrer ses saillies sanglantes en les associant cette fois au choeur du Nabucco de Verdi (et inversement), d’avoir arrangé audit compositeur un rendez-vous avec la lune, d’avoir été fidèle à ses obsessions en associant l’expérience de la peur à des donzelles aussi sensuelles qu’Irène Miracle, Eleonora Giorgi ou Daria Nicolodi, de prendre un malin plaisir à les plonger et à les faire évoluer dans des mondes engloutis ou labyrinthiques, de les en soustraire (très temporairement), le sein qui pointe et qui palpite, de donner au vent et à la pluie le pouvoir d’incarner le déchaînement des forces souterraines (qui ici à chaque instant ourdissent de sourds complots contre le monde des vivants), le maestro créait une sensationnelle alchimie entre l’exaltation de la beauté et l’irruption de l’effroi. D’avoir ainsi élevé le regard et l’ouïe tout en excitant l’épiderme, Argento faisait sienne la poésie de Baudelaire qui veut que la fleur est parfois la promise du mal, que la rose est faite aussi de son épine, que le tombeau le plus beau appartient aussi au ver qui ronge son locataire.
Profondo rosso
Vous venez de voir Profondo rosso…
Nous dit le générique de fin du maître giallo. Qui, davantage qu’un simple reflet, fige un regard à l’envers. La vérité est souvent à cette condition, nous dit ainsi Dario Argento, pour qui la quête et ses aléas/affres disent et valent plus que la révélation.
D’avoir dans Profondo rosso à mettre en scène une série de crimes perpetrés pour continuer à en cacher un seul, Argento davantage ici préfère l’ivresse de la recherche de la vérité, celle qui, au commencement dans un théatre, se révèle à une médium, celle qui, plus tard, au rythme stressant et entraînant des Goblins conduit le héros, un pianiste, à explorer et fouiller une villa viscontienne longtemps abandonnée à son horrible secret, celle aussi qui entend percer le pourquoi d’une comptine pour enfants entendue avant que le tueur ne tente de le réduire au silence, celle encore qui lui permet, en deux temps, la découverte d’un dessin infantile racontant un traumatisme, celle qui disparait et réapparaît au gré d’une buée, celle enfin qui lui avait échappé dès le début de l’histoire. D’avoir pris un miroir, et donc son reflet, pour un tableau parmi de nombreux autres, la vérité lui était apparue, comme au spectateur, lors des premières minutes du métrage. De confirmer ainsi pour Argento, outre qu’il eut été préjudiciable au héros, et bien-sûr au film, de s’affranchir de la suite, que la vérité révélée importait infiniment moins que l’investigation onirique et déambulatoire de son héros. D’ajouter donc pour le cinéaste qui va suivre que la vision fantastique du monde importe bien davantage que la froide et morne réalité présumée. Suspiria et Inferno en apporteront une preuve éclatante.
Nous dit le générique de fin du maître giallo. Qui, davantage qu’un simple reflet, fige un regard à l’envers. La vérité est souvent à cette condition, nous dit ainsi Dario Argento, pour qui la quête et ses aléas/affres disent et valent plus que la révélation.
D’avoir dans Profondo rosso à mettre en scène une série de crimes perpetrés pour continuer à en cacher un seul, Argento davantage ici préfère l’ivresse de la recherche de la vérité, celle qui, au commencement dans un théatre, se révèle à une médium, celle qui, plus tard, au rythme stressant et entraînant des Goblins conduit le héros, un pianiste, à explorer et fouiller une villa viscontienne longtemps abandonnée à son horrible secret, celle aussi qui entend percer le pourquoi d’une comptine pour enfants entendue avant que le tueur ne tente de le réduire au silence, celle encore qui lui permet, en deux temps, la découverte d’un dessin infantile racontant un traumatisme, celle qui disparait et réapparaît au gré d’une buée, celle enfin qui lui avait échappé dès le début de l’histoire. D’avoir pris un miroir, et donc son reflet, pour un tableau parmi de nombreux autres, la vérité lui était apparue, comme au spectateur, lors des premières minutes du métrage. De confirmer ainsi pour Argento, outre qu’il eut été préjudiciable au héros, et bien-sûr au film, de s’affranchir de la suite, que la vérité révélée importait infiniment moins que l’investigation onirique et déambulatoire de son héros. D’ajouter donc pour le cinéaste qui va suivre que la vision fantastique du monde importe bien davantage que la froide et morne réalité présumée. Suspiria et Inferno en apporteront une preuve éclatante.
Dellamorte dellamore di Mario Bava
Bien des raisons nous font aimer le cinéma de Mario Bava. Nous saluons en premier lieu une belle ambition, couronnée d’un succès rarement démenti : saisir la musique et l’étreinte de la nuit et du temps. Grâce à des trompe-l’oreille (le vent qui fait croire aux loups) ou des trompe-l’oeil (le brouillard qui fait croire à l’esprit des morts, et qui, semblant s’échapper de la terre, particulièrement des tombes et tombeaux, vient s’emparer des vivants). Grâce à son décorum et à sa photographie gothiques, en couleurs ou en noir et blanc. Nous admirons ensuite une vision fantastique, indélébile pour le spectateur : du Masque du démon aux Trois visages de la peur en passant par Opération peur, Bava n’a cessé en réalité de décliner une fascinante jalousie. Entre trois divinités grecques, Eros, Himeros et Thanatos, personnifications de l’amour, du désir et de la mort, pour l’éternité condamnés à s’envier dans le monde et l’oeuvre de Bava. Cette confusion donne aux films du maestro une ambiance étrange et attirante, inquiétante et envoûtante, en un mot fantasmagorique. Le goût du cinéaste à filmer des ruines et des demeures depuis longtemps abandonnées, promises à l’enlacement des lianes et des racines ou aux toiles d’araignées géantes, vestiges d’une époque révolue faite de splendeur mais aussi d’épouvante, rejoint celui d’y voir évoluer des jolies donzelles en nuisettes, pulpeuses à souhait, offertes à l’assaut du vampire, prêtes à donner leur sang et leur âme. Cette obsession, celle aussi des mannequins et des poupées, des statues et des gargouilles, des tableaux et des miroirs, ou encore des cercueils béants, rejoint la nôtre d’y voir associés des rêves d’éternité figés ou échappés. D’y voir ces rêves parfois échoués ou profanés, d’y voir souvent des amours et des haines se prolonger post-mortem, d’y voir enfin d’immémoriales légendes et malédictions figurer des désirs et des peurs remontant à la nuit des temps, immortalisées.
La momie érotique
Les britanniques ont le sens de la momie. Au point cette fois d’attendre son réveil avec une ardente envie…
Valerie Leon, Blood from the Mummy’s tomb.
Valerie Leon, Blood from the Mummy’s tomb.
Dellamorte dellamore Anna
L’éminemment pulpeuse Anna Falchi, dans le très beau Dellamorte Dellamore de Michele Soavi, autre exemple cinématographique où érotisme rime avec mort. Et chez Soavi, le sexe et la mort sont d’une douce mélancolie. L’association est paisible et enivrante. Ici, le gore n’est que folklore fantastique.
Rest in peace…
Rest in peace…
Le narcisse noir
La magie du cinéma consiste surtout dans l’art d’inventer et de poétiser. Inventer et poétiser des histoires. Mais aussi inventer en studio, artificiellement, la fantasmagorique beauté d’un site, d’un pays, d’une planète, d’un univers. Téléporter le spectateur dans un lieu inconnu, ou vaguement familier, au gré de ses voyages passés, cinématographiques ou réels, à la faveur de son esprit rêveur, à celle, si l’on en croit l’hindouïsme, de ses vies antérieures. Inviter au voyage, autant physique que spirituel.
Dans Le narcisse noir, restituer la magnificence naturelle de l’Inde (haut-lieu de fantasmes), de ses palais, de ses fastes, restituer aussi sa misère, n’était pas la voie de Powell ni la voix de Pressburger. En filmant une communauté de nonnes prendre ses quartiers dans un ancien harem (haut-lieu de plaisirs passés affichant une sensualité toujours aussi intense et ensorcelante) pour fonder une mission déguisée en dispensaire, en mettant ces religieuses d’une autre civilisation aux prises avec les plaisirs fantômatiques des courtisanes ayant précedemment jouit des lieux (leurs voix, chariées par les vents, semblent sortir des magnifiques fresques érotiques), continuant ainsi de les hanter, en confrontant cette communauté à des visiteurs encombrants déclenchant trouble et désir (la danse de Kanshi, l’attrait de Mr Dean), le dessein du réalisateur et du scénariste était clairement d’enchanter et d’envoûter. D’exacerber les sens. Du spectateur comme des nonnes. Pour ces dernières, les révéler, les ranimer. Beaucoup trop à leurs goûts.
En fomentant ce Narcisse noir, en provoquant chez le spectateur comme chez les personnages une extase visuelle et olfactive (le ravissement des couleurs, le chatoiement des parures, le parfum exhalé par la végétation luxuriante), en réhabilitant le corps de Soeur Ruth, en la rendant démente (à avoir trop longtemps réprimé son corps), en la sacrifiant sur l’autel de cette répression, en expulsant finalement ces nonnes de ce jardin d’Eden, en le confiant de nouveau aux vents et à sa gardienne si attachée aux voix des anciennes résidentes, le mobile de Powell et Pressburger n’était-il pas en réalité d’assouvir un plaisir pervers ?
Le narcisse noir, éminemment panthéiste, serait donc aussi un grand film hédoniste.
Dans Le narcisse noir, restituer la magnificence naturelle de l’Inde (haut-lieu de fantasmes), de ses palais, de ses fastes, restituer aussi sa misère, n’était pas la voie de Powell ni la voix de Pressburger. En filmant une communauté de nonnes prendre ses quartiers dans un ancien harem (haut-lieu de plaisirs passés affichant une sensualité toujours aussi intense et ensorcelante) pour fonder une mission déguisée en dispensaire, en mettant ces religieuses d’une autre civilisation aux prises avec les plaisirs fantômatiques des courtisanes ayant précedemment jouit des lieux (leurs voix, chariées par les vents, semblent sortir des magnifiques fresques érotiques), continuant ainsi de les hanter, en confrontant cette communauté à des visiteurs encombrants déclenchant trouble et désir (la danse de Kanshi, l’attrait de Mr Dean), le dessein du réalisateur et du scénariste était clairement d’enchanter et d’envoûter. D’exacerber les sens. Du spectateur comme des nonnes. Pour ces dernières, les révéler, les ranimer. Beaucoup trop à leurs goûts.
En fomentant ce Narcisse noir, en provoquant chez le spectateur comme chez les personnages une extase visuelle et olfactive (le ravissement des couleurs, le chatoiement des parures, le parfum exhalé par la végétation luxuriante), en réhabilitant le corps de Soeur Ruth, en la rendant démente (à avoir trop longtemps réprimé son corps), en la sacrifiant sur l’autel de cette répression, en expulsant finalement ces nonnes de ce jardin d’Eden, en le confiant de nouveau aux vents et à sa gardienne si attachée aux voix des anciennes résidentes, le mobile de Powell et Pressburger n’était-il pas en réalité d’assouvir un plaisir pervers ?
Le narcisse noir, éminemment panthéiste, serait donc aussi un grand film hédoniste.
Miss Salma
Regardez comme elle prend du plaisir avec son serpent…
La charge érotique
Le Dracula de Coppola ne se nourrit pas tant du sang des vierges que de leurs rêves érotiques.
C’est sous la forme d’un loup-garou qu’il va, une nuit d’orage, combler ceux de Lucy. Ainsi seront pleinement assouvis ses désirs de pénétrations sauvages et de chevauchées fantastiques.
“J’ai encore le goût de son sang dans la bouche”, hypocrite Lucy, car le vampire, on le sait, ne pénètre ses victimes et de son sang n'éjacule que s’il y est invité. Celles qui ont l’honneur d’y goûter sont triées sur le volet. Le sang de Dracula, il est vrai, est délétère, le vampire de ces dames ne le dispense pas à la légère. A défaut de donner la vie, il abreuve d’une jouvence éternelle celles qui ont la chance d’en être investi. Vite épuisée, la scandaleuse Lucy va pouvoir rejoindre la liste très select des fiancées du maître.
Dracula, cependant, n’a pas traversé les océans pour assouvir un sanguinaire et vulgaire désir. Le Dracula de Coppola ne rêve que de conquérir Mina, réincarnation de son épouse bien-aimée Elisabeta, cause de nombreux empalements. Vite conquise, la douce Mina qui n’en peut plus d’attendre suppliera son prince charmant de pouvoir consommer son précieux breuvage. Et réciproquement !
Loin d’être édulcoré dans son propos et dans ses images, ce Dracula là ne réprime en rien les effusions de désir et de jouissance sanguine. Lucy s’emparant d’une dague avec envie en pensant à un phallus, shoot masturbatoire d’un de ses prétendants, Mina brûlante de désir sur un mont de Transylvanie, comptent parmi les plus mémorables. Le film de Coppola, s’il ne cesse d’enchanter le regard par ses visions somptueuses dignes de L’impératrice rouge de Sternberg, provoque une véritable ivresse charnelle. Formellement promise dans ce mouvement de balancier aérien quand Dracula débarque à Londres et s’annonce auprès de Mina et Lucy, se délectant de leur flirt sous la pluie.
Et pour Bram Stocker's Dracula de satisfaire le désir et le plaisir profond du spectateur.
De voir une Mina en nuisette d'un bleu diaphane dévaler les marches d’un manoir tandis que les maîtresses de Dracula, les seins nus, sont toutes occupées à pomper ce nigaud de Jonathan ! De voir sur pellicule des coeurs qui palpitent, des corps concupiscents qui ardemment désirent s’affranchir des carcans.
De voir finalement une histoire d’amour fou rejoindre une geste érotique, celle d’une jeune victorienne rêvant de levrettes.
C’est sous la forme d’un loup-garou qu’il va, une nuit d’orage, combler ceux de Lucy. Ainsi seront pleinement assouvis ses désirs de pénétrations sauvages et de chevauchées fantastiques.
“J’ai encore le goût de son sang dans la bouche”, hypocrite Lucy, car le vampire, on le sait, ne pénètre ses victimes et de son sang n'éjacule que s’il y est invité. Celles qui ont l’honneur d’y goûter sont triées sur le volet. Le sang de Dracula, il est vrai, est délétère, le vampire de ces dames ne le dispense pas à la légère. A défaut de donner la vie, il abreuve d’une jouvence éternelle celles qui ont la chance d’en être investi. Vite épuisée, la scandaleuse Lucy va pouvoir rejoindre la liste très select des fiancées du maître.
Dracula, cependant, n’a pas traversé les océans pour assouvir un sanguinaire et vulgaire désir. Le Dracula de Coppola ne rêve que de conquérir Mina, réincarnation de son épouse bien-aimée Elisabeta, cause de nombreux empalements. Vite conquise, la douce Mina qui n’en peut plus d’attendre suppliera son prince charmant de pouvoir consommer son précieux breuvage. Et réciproquement !
Loin d’être édulcoré dans son propos et dans ses images, ce Dracula là ne réprime en rien les effusions de désir et de jouissance sanguine. Lucy s’emparant d’une dague avec envie en pensant à un phallus, shoot masturbatoire d’un de ses prétendants, Mina brûlante de désir sur un mont de Transylvanie, comptent parmi les plus mémorables. Le film de Coppola, s’il ne cesse d’enchanter le regard par ses visions somptueuses dignes de L’impératrice rouge de Sternberg, provoque une véritable ivresse charnelle. Formellement promise dans ce mouvement de balancier aérien quand Dracula débarque à Londres et s’annonce auprès de Mina et Lucy, se délectant de leur flirt sous la pluie.
Et pour Bram Stocker's Dracula de satisfaire le désir et le plaisir profond du spectateur.
De voir une Mina en nuisette d'un bleu diaphane dévaler les marches d’un manoir tandis que les maîtresses de Dracula, les seins nus, sont toutes occupées à pomper ce nigaud de Jonathan ! De voir sur pellicule des coeurs qui palpitent, des corps concupiscents qui ardemment désirent s’affranchir des carcans.
De voir finalement une histoire d’amour fou rejoindre une geste érotique, celle d’une jeune victorienne rêvant de levrettes.
Les fiancées damnées de Dracula
Femmes damnées
Comme un bétail pensif sur le sable couchées,
Elles tournent leurs yeux vers l’horizon des mers,
Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochées
Ont de douces langueurs et des frissons amers.
Les unes, coeurs épris des longues confidences,
Dans le fond des bosquets où jasent les ruisseaux,
Vont épelant l’amour des craintives enfances
Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux ;
D’autres, comme des soeurs, marchent lentes et graves
A travers les rochers pleins d’apparitions,
Où saint Antoine a vu surgir comme des laves
Les seins nus et pourprés de ses tentations ;
Il en est, aux lueurs des résines croulantes,
Qui dans le creux muet des vieux antres païens
T’appellent au secours de leurs fièvres hurlantes,
Ô Bacchus, endormeur des remords anciens !
Et d’autres, dont la gorge aime les scapulaires,
Qui, recélant un fouet sous leurs longs vêtements,
Mêlent, dans le bois sombre et les nuits solitaires,
L’écume du plaisir aux larmes des tourments.
Ô vierges, ô démons, ô monstres, ô martyres,
De la réalité grands esprits contempteurs,
Chercheuses d’infini, dévotes et satyres,
Tantôt pleines de cris, tantôt pleines de pleurs,
Vous que dans votre enfer mon âme a poursuivies,
Pauvres soeurs, je vous aime autant que je vous plains,
Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies,
Et les urnes d’amour dont vos grands coeurs sont pleins !
A la pâle clarté des lampes languissantes,
Sur de profonds coussins tout imprégnés d’odeur
Hippolyte rêvait aux caresses puissantes
Qui levaient le rideau de sa jeune candeur.
Elle cherchait, d’un oeil troublé par la tempête,
De sa naïveté le ciel déjà lointain,
Ainsi qu’un voyageur qui retourne la tête
Vers les horizons bleus dépassés le matin.
De ses yeux amortis les paresseuses larmes,
L’air brisé, la stupeur, la morne volupté,
Ses bras vaincus, jetés comme de vaines armes,
Tout servait, tout parait sa fragile beauté.
Etendue à ses pieds, calme et pleine de joie,
Delphine la couvait avec des yeux ardents,
Comme un animal fort qui surveille une proie,
Après l’avoir d’abord marquée avec les dents.
Beauté forte à genoux devant la beauté frêle,
Superbe, elle humait voluptueusement
Le vin de son triomphe, et s’allongeait vers elle,
Comme pour recueillir un doux remerciement.
Elle cherchait dans l’oeil de sa pâle victime
Le cantique muet que chante le plaisir,
Et cette gratitude infinie et sublime
Qui sort de la paupière ainsi qu’un long soupir.
- ” Hippolyte, cher coeur, que dis-tu de ces choses ?
Comprends-tu maintenant qu’il ne faut pas offrir
L’holocauste sacré de tes premières roses
Aux souffles violents qui pourraient les flétrir ?
Mes baisers sont légers comme ces éphémères
Qui caressent le soir les grands lacs transparents,
Et ceux de ton amant creuseront leurs ornières
Comme des chariots ou des socs déchirants ;
Ils passeront sur toi comme un lourd attelage
De chevaux et de boeufs aux sabots sans pitié…
Hippolyte, ô ma soeur ! tourne donc ton visage,
Toi, mon âme et mon coeur, mon tout et ma moitié,
Tourne vers moi tes yeux pleins d’azur et d’étoiles !
Pour un de ces regards charmants, baume divin,
Des plaisirs plus obscurs je lèverai les voiles,
Et je t’endormirai dans un rêve sans fin ! “
Mais Hippolyte alors, levant sa jeune tête :
- ” Je ne suis point ingrate et ne me repens pas,
Ma Delphine, je souffre et je suis inquiète,
Comme après un nocturne et terrible repas.
Je sens fondre sur moi de lourdes épouvantes
Et de noirs bataillons de fantômes épars,
Qui veulent me conduire en des routes mouvantes
Qu’un horizon sanglant ferme de toutes parts.
Avons-nous donc commis une action étrange ?
Explique, si tu peux, mon trouble et mon effroi :
Je frissonne de peur quand tu me dis : ” Mon ange ! “
Et cependant je sens ma bouche aller vers toi.
Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pensée !
Toi que j’aime à jamais, ma soeur d’élection,
Quand même tu serais une embûche dressée
Et le commencement de ma perdition ! “
Delphine secouant sa crinière tragique,
Et comme trépignant sur le trépied de fer,
L’oeil fatal, répondit d’une voix despotique :
- ” Qui donc devant l’amour ose parler d’enfer ?
Maudit soit à jamais le rêveur inutile
Qui voulut le premier, dans sa stupidité,
S’éprenant d’un problème insoluble et stérile,
Aux choses de l’amour mêler l’honnêteté !
Celui qui veut unir dans un accord mystique
L’ombre avec la chaleur, la nuit avec le jour,
Ne chauffera jamais son corps paralytique
A ce rouge soleil que l’on nomme l’amour !
Va, si tu veux, chercher un fiancé stupide ;
Cours offrir un coeur vierge à ses cruels baisers ;
Et, pleine de remords et d’horreur, et livide,
Tu me rapporteras tes seins stigmatisés…
On ne peut ici-bas contenter qu’un seul maître ! “
Mais l’enfant, épanchant une immense douleur,
Cria soudain : – ” Je sens s’élargir dans mon être
Un abîme béant ; cet abîme est mon cœur !
Brûlant comme un volcan, profond comme le vide !
Rien ne rassasiera ce monstre gémissant
Et ne rafraîchira la soif de l’Euménide
Qui, la torche à la main, le brûle jusqu’au sang.
Que nos rideaux fermés nous séparent du monde,
Et que la lassitude amène le repos !
Je veux m’anéantir dans ta gorge profonde,
Et trouver sur ton sein la fraîcheur des tombeaux ! “
- Descendez, descendez, lamentables victimes,
Descendez le chemin de l’enfer éternel !
Plongez au plus profond du gouffre, où tous les crimes,
Flagellés par un vent qui ne vient pas du ciel,
Bouillonnent pêle-mêle avec un bruit d’orage.
Ombres folles, courez au but de vos désirs ;
Jamais vous ne pourrez assouvir votre rage,
Et votre châtiment naîtra de vos plaisirs.
Jamais un rayon frais n’éclaira vos cavernes ;
Par les fentes des murs des miasmes fiévreux
Filtrent en s’enflammant ainsi que des lanternes
Et pénètrent vos corps de leurs parfums affreux.
L’âpre stérilité de votre jouissance
Altère votre soif et roidit votre peau,
Et le vent furibond de la concupiscence
Fait claquer votre chair ainsi qu’un vieux drapeau.
Loin des peuples vivants, errantes, condamnées,
A travers les déserts courez comme les loups ;
Faites votre destin, âmes désordonnées,
Et fuyez l’infini que vous portez en vous !
Charles Baudelaire.
Comme un bétail pensif sur le sable couchées,
Elles tournent leurs yeux vers l’horizon des mers,
Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochées
Ont de douces langueurs et des frissons amers.
Les unes, coeurs épris des longues confidences,
Dans le fond des bosquets où jasent les ruisseaux,
Vont épelant l’amour des craintives enfances
Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux ;
D’autres, comme des soeurs, marchent lentes et graves
A travers les rochers pleins d’apparitions,
Où saint Antoine a vu surgir comme des laves
Les seins nus et pourprés de ses tentations ;
Il en est, aux lueurs des résines croulantes,
Qui dans le creux muet des vieux antres païens
T’appellent au secours de leurs fièvres hurlantes,
Ô Bacchus, endormeur des remords anciens !
Et d’autres, dont la gorge aime les scapulaires,
Qui, recélant un fouet sous leurs longs vêtements,
Mêlent, dans le bois sombre et les nuits solitaires,
L’écume du plaisir aux larmes des tourments.
Ô vierges, ô démons, ô monstres, ô martyres,
De la réalité grands esprits contempteurs,
Chercheuses d’infini, dévotes et satyres,
Tantôt pleines de cris, tantôt pleines de pleurs,
Vous que dans votre enfer mon âme a poursuivies,
Pauvres soeurs, je vous aime autant que je vous plains,
Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies,
Et les urnes d’amour dont vos grands coeurs sont pleins !
A la pâle clarté des lampes languissantes,
Sur de profonds coussins tout imprégnés d’odeur
Hippolyte rêvait aux caresses puissantes
Qui levaient le rideau de sa jeune candeur.
Elle cherchait, d’un oeil troublé par la tempête,
De sa naïveté le ciel déjà lointain,
Ainsi qu’un voyageur qui retourne la tête
Vers les horizons bleus dépassés le matin.
De ses yeux amortis les paresseuses larmes,
L’air brisé, la stupeur, la morne volupté,
Ses bras vaincus, jetés comme de vaines armes,
Tout servait, tout parait sa fragile beauté.
Etendue à ses pieds, calme et pleine de joie,
Delphine la couvait avec des yeux ardents,
Comme un animal fort qui surveille une proie,
Après l’avoir d’abord marquée avec les dents.
Beauté forte à genoux devant la beauté frêle,
Superbe, elle humait voluptueusement
Le vin de son triomphe, et s’allongeait vers elle,
Comme pour recueillir un doux remerciement.
Elle cherchait dans l’oeil de sa pâle victime
Le cantique muet que chante le plaisir,
Et cette gratitude infinie et sublime
Qui sort de la paupière ainsi qu’un long soupir.
- ” Hippolyte, cher coeur, que dis-tu de ces choses ?
Comprends-tu maintenant qu’il ne faut pas offrir
L’holocauste sacré de tes premières roses
Aux souffles violents qui pourraient les flétrir ?
Mes baisers sont légers comme ces éphémères
Qui caressent le soir les grands lacs transparents,
Et ceux de ton amant creuseront leurs ornières
Comme des chariots ou des socs déchirants ;
Ils passeront sur toi comme un lourd attelage
De chevaux et de boeufs aux sabots sans pitié…
Hippolyte, ô ma soeur ! tourne donc ton visage,
Toi, mon âme et mon coeur, mon tout et ma moitié,
Tourne vers moi tes yeux pleins d’azur et d’étoiles !
Pour un de ces regards charmants, baume divin,
Des plaisirs plus obscurs je lèverai les voiles,
Et je t’endormirai dans un rêve sans fin ! “
Mais Hippolyte alors, levant sa jeune tête :
- ” Je ne suis point ingrate et ne me repens pas,
Ma Delphine, je souffre et je suis inquiète,
Comme après un nocturne et terrible repas.
Je sens fondre sur moi de lourdes épouvantes
Et de noirs bataillons de fantômes épars,
Qui veulent me conduire en des routes mouvantes
Qu’un horizon sanglant ferme de toutes parts.
Avons-nous donc commis une action étrange ?
Explique, si tu peux, mon trouble et mon effroi :
Je frissonne de peur quand tu me dis : ” Mon ange ! “
Et cependant je sens ma bouche aller vers toi.
Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pensée !
Toi que j’aime à jamais, ma soeur d’élection,
Quand même tu serais une embûche dressée
Et le commencement de ma perdition ! “
Delphine secouant sa crinière tragique,
Et comme trépignant sur le trépied de fer,
L’oeil fatal, répondit d’une voix despotique :
- ” Qui donc devant l’amour ose parler d’enfer ?
Maudit soit à jamais le rêveur inutile
Qui voulut le premier, dans sa stupidité,
S’éprenant d’un problème insoluble et stérile,
Aux choses de l’amour mêler l’honnêteté !
Celui qui veut unir dans un accord mystique
L’ombre avec la chaleur, la nuit avec le jour,
Ne chauffera jamais son corps paralytique
A ce rouge soleil que l’on nomme l’amour !
Va, si tu veux, chercher un fiancé stupide ;
Cours offrir un coeur vierge à ses cruels baisers ;
Et, pleine de remords et d’horreur, et livide,
Tu me rapporteras tes seins stigmatisés…
On ne peut ici-bas contenter qu’un seul maître ! “
Mais l’enfant, épanchant une immense douleur,
Cria soudain : – ” Je sens s’élargir dans mon être
Un abîme béant ; cet abîme est mon cœur !
Brûlant comme un volcan, profond comme le vide !
Rien ne rassasiera ce monstre gémissant
Et ne rafraîchira la soif de l’Euménide
Qui, la torche à la main, le brûle jusqu’au sang.
Que nos rideaux fermés nous séparent du monde,
Et que la lassitude amène le repos !
Je veux m’anéantir dans ta gorge profonde,
Et trouver sur ton sein la fraîcheur des tombeaux ! “
- Descendez, descendez, lamentables victimes,
Descendez le chemin de l’enfer éternel !
Plongez au plus profond du gouffre, où tous les crimes,
Flagellés par un vent qui ne vient pas du ciel,
Bouillonnent pêle-mêle avec un bruit d’orage.
Ombres folles, courez au but de vos désirs ;
Jamais vous ne pourrez assouvir votre rage,
Et votre châtiment naîtra de vos plaisirs.
Jamais un rayon frais n’éclaira vos cavernes ;
Par les fentes des murs des miasmes fiévreux
Filtrent en s’enflammant ainsi que des lanternes
Et pénètrent vos corps de leurs parfums affreux.
L’âpre stérilité de votre jouissance
Altère votre soif et roidit votre peau,
Et le vent furibond de la concupiscence
Fait claquer votre chair ainsi qu’un vieux drapeau.
Loin des peuples vivants, errantes, condamnées,
A travers les déserts courez comme les loups ;
Faites votre destin, âmes désordonnées,
Et fuyez l’infini que vous portez en vous !
Charles Baudelaire.
Bambole
Bellissima bambole,
Qui a du coffre, ainsi qu’une imposante et mémorable conversation…
Mais prenez garde à sa denture, elle n’est pas des plus accueillantes.
Hum…
Qui a du coffre, ainsi qu’une imposante et mémorable conversation…
Mais prenez garde à sa denture, elle n’est pas des plus accueillantes.
Hum…
Les griffes de la nuit
Emblématique du cinéma de Murnau, la fulgurance expressionniste et muette de ce plan (une main maligne, des griffes bestiales qui enserrent un coeur pur) décline une volonté tyrannique de posséder. De posséder le coeur et l’âme de la jeune femme, après l’avoir endormi. Au risque de serrer trop fort. Mais surtout, ce plan mythique retrace la lutte éternelle entre la lumière et les ténèbres, thème de prédilection du cinéaste allemand. Traduite en langage cinématographique par l’invasion de l’ombre sur le personnage, cette lutte est dans le cas présent placée successivement sous le sceau de la peur, de la fascination, de l’oubli extatique et de l’abandon. Cinéaste visionnaire et passionnant dans la forme (le maître des ombres avait prouvé que le cinéma pouvait et devait être volage), Murnau l’était tout autant dans sa vision rousseauiste du monde et de l’homme (L’aurore en est la suprême illustration). Onze après la réalisation de Nosferatu, Hitler, avatar du monstrueux vampire, s’installait au pouvoir, après avoir suscité la peur et la fascination (toute aussi hypnotique), provoqué l’oubli et l’abandon du peuple allemand.
Davantage qu’un plan, un vertigineux pressentiment.
Davantage qu’un plan, un vertigineux pressentiment.
Mais qu'avez-vous fait à Solange ?
Un prénom angélique associé à une question pleine de promesses horrifiques pour un titre accrocheur qui en a fait fantasmer plus d’un dans les vidéoclubs des années 80. A vrai dire, un beau titre de cinéma qui vaut mobile pour les meurtres atroces frappant les étudiantes d’un établissement privé et huppé de Londres. Un générique champêtre qui par son filtre rouge annonce les crimes qui vont suivre. Une partition romantique de Morricone, déjà entendue dans Il était une fois la Révolution de Leone. Un professeur italien (Fabio Testi) et l’une de ses charmantes élèves dérivant à bord d’une barque sur les rives paisibles de la Tamise, prêt à faire l’amour pour le bel Enrico, prête uniquement à flirter pour la très jolie Elisabeth. Un couteau big size planté dans le sexe d'une jeune femme par une main gantée noire sur la berge. Un seul témoin, la future conquête du professeur (ce dernier ayant le nez et l’esprit ailleurs), qui échappe ainsi à une autre pénétration, effrayante et non encore assumée (même si sans doute désirée). Qui dit témoin pour un meurtrier dit forcément volonté de le supprimer. Un florilège de jeunes filles en floraisons s’ébattant dans une douche collective promise à un voyeur. Une baignoire pour cercueil. Une mémère empalée dans un jardin anglais. Un tueur fou. Et enfin Solange. Tels sont les motifs et ingrédients pour ce giallo qui tient les promesses de son titre culte : envoûtant et lancinant.
Twin Peaks
Twin Peaks, c’est le nom d’une petite ville en apparence tranquille du Nord-Ouest des Etats-Unis, peuplée de 51200 âmes – 1 : la très belle Laura, appelée ainsi par Lynch en hommage à celle de Preminger.
Au commencement, il y a la jeune Ronette, en nuisette déchirée, divaguant sur les rails d’une voie de chemin de fer, et Laura Palmer échouée sur la berge d’un lac, enveloppée dans un linceul en plastique, apaisée.
A la fin, il y a Dale Cooper dans le monde noir, accueilli par une chanson sublime de Jimmy Scott, poursuivi et rattrapé par un double ricaneur.
Entre, il y a une enquête policière (qui a tué Laura Palmer ?) hors norme, où les hiboux ne sont pas ce que l’on pense, peuplée de personnages, fous ou visionnaires : un nain messager qui aime faire des pas de danse (“ "vos chewings-gums vont bientôt revenir à la mode” "), un géant fournisseur d’indices, un croquemitaine volage, un manchot repenti, des shérifs membres d’une société secrète, un agent du FBI guidé par ses visions (Laura qui, dans un salon de feutre rouge, lui murmure à l’oreille le nom de son meurtrier).
A Twin Peaks, les protagonistes ont l’habitude de se retrouver au double R pour y savourer de délicieuses tartes aux myrtilles et où l’on sert un café très noir, où la dame à la bûche fait ses dépôts de chewings-gums, où Dale Cooper raconte des blagues à la très jolie Annie Blackburne.
A Twin Peaks, les volatiles ont des choses à dire : un corbeau perché sur la cime d’un arbre (son regard, morbide et magnifique, figure celui de Lynch), tandis que l’hymne à la nuit de Julee Cruise plane sur la forêt pour guider Cooper et le shérif Truman dans leur (en)quête ; le ménate Waldo (appelé ainsi en hommage à celui de Preminger) liquidé parce qu’il en savait trop et qu’il parlait trop.
Twin Peaks est une série magique en ce qu’elle déconnecte le spectateur de son univers pour le faire pénétrer dans celui, fascinant, noir, ésotérique, fantastique, de Lynch.
Twin Peaks est le cauchemar le plus effrayant et le rêve le plus entêtant.
Les tendres rameaux de l’innocence brûlent les premiers, ces paroles sont celles de la dame à la bûche dans Twin Peaks : Fire walk with me, le film qui clôture le chemin de Laura Palmer et augure celui d’Annie Cooper.
Au commencement, il y a la jeune Ronette, en nuisette déchirée, divaguant sur les rails d’une voie de chemin de fer, et Laura Palmer échouée sur la berge d’un lac, enveloppée dans un linceul en plastique, apaisée.
A la fin, il y a Dale Cooper dans le monde noir, accueilli par une chanson sublime de Jimmy Scott, poursuivi et rattrapé par un double ricaneur.
Entre, il y a une enquête policière (qui a tué Laura Palmer ?) hors norme, où les hiboux ne sont pas ce que l’on pense, peuplée de personnages, fous ou visionnaires : un nain messager qui aime faire des pas de danse (“ "vos chewings-gums vont bientôt revenir à la mode” "), un géant fournisseur d’indices, un croquemitaine volage, un manchot repenti, des shérifs membres d’une société secrète, un agent du FBI guidé par ses visions (Laura qui, dans un salon de feutre rouge, lui murmure à l’oreille le nom de son meurtrier).
A Twin Peaks, les protagonistes ont l’habitude de se retrouver au double R pour y savourer de délicieuses tartes aux myrtilles et où l’on sert un café très noir, où la dame à la bûche fait ses dépôts de chewings-gums, où Dale Cooper raconte des blagues à la très jolie Annie Blackburne.
A Twin Peaks, les volatiles ont des choses à dire : un corbeau perché sur la cime d’un arbre (son regard, morbide et magnifique, figure celui de Lynch), tandis que l’hymne à la nuit de Julee Cruise plane sur la forêt pour guider Cooper et le shérif Truman dans leur (en)quête ; le ménate Waldo (appelé ainsi en hommage à celui de Preminger) liquidé parce qu’il en savait trop et qu’il parlait trop.
Twin Peaks est une série magique en ce qu’elle déconnecte le spectateur de son univers pour le faire pénétrer dans celui, fascinant, noir, ésotérique, fantastique, de Lynch.
Twin Peaks est le cauchemar le plus effrayant et le rêve le plus entêtant.
Les tendres rameaux de l’innocence brûlent les premiers, ces paroles sont celles de la dame à la bûche dans Twin Peaks : Fire walk with me, le film qui clôture le chemin de Laura Palmer et augure celui d’Annie Cooper.
Fantômes
I
Hélas ! que j’en ai vu mourir de jeunes filles !
C’est le destin. Il faut une proie au trépas.
Il faut que l’herbe tombe au tranchant des faucilles ;
Il faut que dans le bal les folâtres quadrilles
Foulent des roses sous leurs pas.
Il faut que l’eau s’épuise à courir les vallées ;
Il faut que l’éclair brille, et brille peu d’instants,
Il faut qu’avril jaloux brûle de ses gelées
Le beau pommier, trop fier de ses fleurs étoilées,
Neige odorante du printemps.
Oui, c’est la vie. Après le jour, la nuit livide.
Après tout, le réveil, infernal ou divin.
Autour du grand banquet siège une foule avide ;
Mais bien des conviés laissent leur place vide.
Et se lèvent avant la fin.
II
Que j’en ai vu mourir ! – L’une était rose et blanche ;
L’autre semblait ouïr de célestes accords ;
L’autre, faible, appuyait d’un bras son front qui penche,
Et, comme en s’envolant l’oiseau courbe la branche,
Son âme avait brisé son corps.
Une, pâle, égarée, en proie au noir délire,
Disait tout bas un nom dont nul ne se souvient ;
Une s’évanouit, comme un chant sur la lyre ;
Une autre en expirant avait le doux sourire
D’un jeune ange qui s’en revient.
Toutes fragiles fleurs, sitôt mortes que nées !
Alcyions engloutis avec leurs nids flottants !
Colombes, que le ciel au monde avait données !
Qui, de grâce, et d’enfance, et d’amour couronnées,
Comptaient leurs ans par les printemps !
Quoi, mortes ! quoi, déjà, sous la pierre couchées !
Quoi ! tant d’êtres charmants sans regard et sans voix !
Tant de flambeaux éteints ! tant de fleurs arrachées !…
Oh ! laissez-moi fouler les feuilles desséchées,
Et m’égarer au fond des bois !
Deux fantômes ! c’est là, quand je rêve dans l’ombre,
Qu’ils viennent tour à tour m’entendre et me parler.
Un jour douteux me montre et me cache leur nombre.
A travers les rameaux et le feuillage sombre
Je vois leurs yeux étinceler.
Mon âme est une sœur pour ces ombres si belles.
La vie et le tombeau pour nous n’ont plus de loi.
Tantôt j’aide leurs pas, tantôt je prends leurs ailes.
Vision ineffable où je suis mort comme elles,
Elles, vivantes comme moi !
Elles prêtent leur forme à toutes mes pensées.
Je les vois ! je les vois ! Elles me disent : Viens !
Puis autour d’un tombeau dansent entrelacées ;
Puis s’en vont lentement, par degrés éclipsées.
Alors je songe et me souviens…
III
Une surtout. – Un ange, une jeune espagnole !
Blanches mains, sein gonflé de soupirs innocents,
Un œil noir, où luisaient des regards de créole,
Et ce charme inconnu, cette fraîche auréole
Qui couronne un front de quinze ans !
Non, ce n’est point d’amour qu’elle est morte : pour elle,
L’amour n’avait encor ni plaisirs ni combats ;
Rien ne faisait encor battre son cœur rebelle ;
Quand tous en la voyant s’écriaient : Qu’elle est belle !
Nul ne le lui disait tout bas.
Elle aimait trop le bal, c’est ce qui l’a tuée.
Le bal éblouissant ! le bal délicieux !
Sa cendre encor frémit, doucement remuée,
Quand, dans la nuit sereine, une blanche nuée
Danse autour du croissant des cieux.
Elle aimait trop le bal. – Quand venait une fête,
Elle y pensait trois jours, trois nuits elle en rêvait,
Et femmes, musiciens, danseurs que rien n’arrête,
Venaient, dans son sommeil, troublant sa jeune tête,
Rire et bruire à son chevet.
Puis c’étaient des bijoux, des colliers, des merveilles !
Des ceintures de moire aux ondoyants reflets ;
Des tissus plus légers que des ailes d’abeilles ;
Des festons, des rubans, à remplir des corbeilles ;
Des fleurs, à payer un palais !
La fête commencée, avec ses sœurs rieuses
Elle accourait, froissant l’éventail sous ses doigts,
Puis s’asseyait parmi les écharpes soyeuses,
Et son cœur éclatait en fanfares joyeuses,
Avec l’orchestre aux mille voix.
C’était plaisir de voir danser la jeune fille !
Sa basquine agitait ses paillettes d’azur ;
Ses grands yeux noirs brillaient sous la noire mantille.
Telle une double étoile au front des nuits scintille
Sous les plis d’un nuage obscur.
Tout en elle était danse, et rire, et folle joie.
Enfant ! – Nous l’admirions dans nos tristes loisirs ;
Car ce n’est point au bal que le cœur se déploie,
La centre y vole autour des tuniques de soie,
L’ennui sombre autour des plaisirs.
Mais elle, par la valse ou la ronde emportée,
Volait, et revenait, et ne respirait pas,
Et s’enivrait des sons de la flûte vantée,
Des fleurs, des lustres d’or, de la fête enchantée,
Du bruit des vois, du bruit des pas.
Quel bonheur de bondir, éperdue, en la foule,
De sentir par le bal ses sens multipliés,
Et de ne pas savoir si dans la nue on roule,
Si l’on chasse en fuyant la terre, ou si l’on foule
Un flot tournoyant sous ses pieds !
Mais hélas ! il fallait, quand l’aube était venue,
Partir, attendre au seuil le manteau de satin.
C’est alors que souvent la danseuse ingénue
Sentit en frissonnant sur son épaule nue
Glisser le souffle du matin.
Quels tristes lendemains laisse le bal folâtre !
Adieu parure, et danse, et rires enfantins !
Aux chansons succédait la toux opiniâtre,
Au plaisir rose et frais la fièvre au teint bleuâtre,
Aux yeux brillants les yeux éteints.
IV
Elle est morte. – A quinze ans, belle, heureuse, adorée !
Morte au sortir d’un bal qui nous mit tous en deuil.
Morte, hélas ! et des bras d’une mère égarée
La mort aux froides mains la prit toute parée,
Pour l’endormir dans le cercueil.
Pour danser d’autres bals elle était encor prête,
Tant la mort fut pressée à prendre un corps si beau !
Et ces roses d’un jour qui couronnaient sa tête,
Qui s’épanouissaient la veille en une fête,
Se fanèrent dans un tombeau.
V
Sa pauvre mère ! – hélas ! de son sort ignorante,
Avoir mis tant d’amour sur ce frêle roseau,
Et si longtemps veillé son enfance souffrante,
Et passé tant de nuits à l’endormir pleurante
Toute petite en son berceau !
A quoi bon ? – Maintenant la jeune trépassée,
Sous le plomb du cercueil, livide, en proie au ver,
Dort ; et si, dans la tombe où nous l’avons laissée,
Quelque fête des morts la réveille glacée,
Par une belle nuit d’hiver,
Un spectre au rire affreux à sa morne toilette
Préside au lieu de mère, et lui dit : Il est temps !
Et, glaçant d’un baiser sa lèvre violette,
Passe les doigts noueux de sa main de squelette
Sous ses cheveux longs et flottants.
Puis, tremblante, il la mène à la danse fatale,
Au chœur aérien dans l’ombre voltigeant ;
Et sur l’horizon gris la lune est large et pâle,
Et l’arc-en-ciel des nuits teint d’un reflet d’opale
Le nuage aux franges d’argent.
VI
Vous toutes qu’à ses jeux le bal riant convie,
Pensez à l’espagnole éteinte sans retour,
Jeunes filles ! Joyeuse, et d’une main ravie,
Elle allait moissonnant les roses de la vie,
Beauté, plaisir, jeunesse, amour !
La pauvre enfant, de fête en fête promenée,
De ce bouquet charmant arrangeait les couleurs ;
Mais qu’elle a passé vite, hélas ! l’infortunée !
Ainsi qu’Ophélia par le fleuve entraînée,
Elle est morte en cueillant des fleurs !
Victor Hugo, Les orientales.
Indiana Jones et le temple maudit
Indiana Jones et le temple maudit, le meilleur Spielberg dans le sens le plus abouti ? Sans doute pas. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on y retrouve les obsessions majeures du cinéaste : l’esclavage, le vampirisme, la mort. En un mot, le nazisme. Ce deuxième opus des aventures du Docteur Jones amorce une trilogie consacrée à son obsession première : le sang. Le sang qu’on dérobe, le sans qu’on prive, le sang venimeux qu’on fait boire. Les enfants qu’on soustrait aux parents, l’enfance qu’on vole. Avant La liste de Schindler et La guerre des mondes. Avant les SS et les tripodes, les chauves-souris géantes et les adorateurs de Kali. Et Spielberg fait ici des enfants l’enjeu de l’histoire. La pierre de Sankara que doit retrouver Indiana, c’est seulement pour le folklore. L’archéologue aventurier a pour mission sacrée de ramener les enfants à leurs familles. De les libérer du joug concentrationnaire des thugs, avatars exotiques des nazis. Indiana Jones et le temple maudit a beau avoir les Indes pour cadre, Indy a beau parler Hindi, c’est pas du Bollywood. Gratté le faste et les danses du Palais de Pankot, on y trouve des enfants squelettiques et exsangues labourant les entrailles de la terre, sous le fouet de leurs geoliers, aux ordres d’un fou sanguinaire. Vision horrifique d’une incroyable noirceur, Spielberg n’y va pas avec le dos de la cuillère. Sous son vernis de film d’aventures trépidant, un terrifiant cauchemar, prélude à celui, industrialisé, de La liste de Schindler.
Indiana Jones et le temple maudit, sans être le métrage le plus abouti de son auteur, pourrait être ainsi son plus précieux. Pour preuves : un enfant dont le regard s’illumine quand Indiana apparaît pour le libérer de ses chaînes, des centaines d’autres recouvrant leurs sourires en retrouvant les bras de leurs parents, un enfant décharné agonisant dans ceux de l’aventurier ultime. Soit les plus belles scènes filmées par le cinéaste, soit l’image la plus forte et la plus significative (dans le sens symptomatique) du cinéma de Spielberg. Le message au coeur du spectacle.
Indiana Jones et le temple maudit, sans être le métrage le plus abouti de son auteur, pourrait être ainsi son plus précieux. Pour preuves : un enfant dont le regard s’illumine quand Indiana apparaît pour le libérer de ses chaînes, des centaines d’autres recouvrant leurs sourires en retrouvant les bras de leurs parents, un enfant décharné agonisant dans ceux de l’aventurier ultime. Soit les plus belles scènes filmées par le cinéaste, soit l’image la plus forte et la plus significative (dans le sens symptomatique) du cinéma de Spielberg. Le message au coeur du spectacle.
Kill Bill
Ceux qui sont encore en vie, profitez-en pour le rester, tirez-vous ! Mais laissez les membres que vous avez perdus. Désormais, ils m’appartiennent.
Si Uma, à cet instant, apparaît tel un spectre du soleil levant (voix d’outre-tombe, armure nappée du sang de ses ennemis), Black Mamba, qui vient d’envoyer en enfer 88 yakuzas, rejoint les icônes du cinéma d’exploitation japonais, du loup solitaire à l’enfant (la contre-plongée souligne une même invincibilité) aux figures tragiques et vengeresses des Lady Snowblood et des Scorpion.
Si l’ombre de Kwai Chang Caine poursuit Bill à travers son acteur, David Carradine, et par contre-coup le volume 2, les fantômes de Yuki et Sasori hantent le volume 1. Mais hanter n’est pas vampiriser. Car Uma n’est pas Meiko, car “ "Flower of carnage” " appartient désormais autant à Kill Bill qu’à Blizzard from the Netherworld, car cette élégiaque chanson épouse tout autant le destin d’O-Ren Ishii et la quête de la Mariée.
Quand, un instant plus tôt, le visage de Black Mamba se confond avec celui, tuméfié, de la Mariée, et que Beatrix Kiddo demande des comptes à Cotton Mouth, elle rejoint les figures mythiques du western spaghetti, celle de l’orphelin vengeur de La mort était au rendez-vous, celle de l’homme à l’harmonica d’Il était une fois dans l’Ouest. Mais la partition de Morricone adopte le seul point de vue de la Mariée, car le regard azuré d’Uma n’est pas celui en acier de Law et Bronson.
Entre temps, Black Mamba a rugi, a ravagé, jouant du katana en jouant les acrobates, comme Gene Kelly jouait à l’épée dans Les trois mousquetaires, en dansant.
Quand Black Mamba et California Mountain Snake se font face, prêtes à charger avec leur katana, le duel leonien épouse ceux des yakuzas eiga, se prolonge dans un corps à corps de Gosha, et se termine par une mutilation estampillée wu xia pian. De leur fusion et leur alchimie, naît un style nouveau, celui de Tarantino, intense et serré, car le duel entre les deux vipères assassines n’appartient qu’à lui, car il rejoint celui, mythique, entre le bon, la brute et le truand, car le duel est grandiose, tout en se déroulant dans un espace restreint, car Tarantino est surtout un grand magicien et un grand créateur de fantasmes.
Quand Beatrix applique sur Bill la technique du coeur explosé par la paume à cinq pointes, que Bill se lève et s’éloigne pour s’effondrer cinq pas plus loin, l’art de Tarantino atteint son apogée, car Uma et David entrent alors dans la légende du cinéma, car les c(h)oeurs de Morricone désormais ne sont plus seulement dédiés à Navajo Joe, car le nôtre s’emballe pour la lionne qui a retrouvé son petit.
Comme ses aînés nippons, chinois et italiens, Kill Bill est un film qui a de la gueule, du coeur et des tripes. Son carburant est identique : le sang. Un sang sensuel et flamboyant.
Si Uma, à cet instant, apparaît tel un spectre du soleil levant (voix d’outre-tombe, armure nappée du sang de ses ennemis), Black Mamba, qui vient d’envoyer en enfer 88 yakuzas, rejoint les icônes du cinéma d’exploitation japonais, du loup solitaire à l’enfant (la contre-plongée souligne une même invincibilité) aux figures tragiques et vengeresses des Lady Snowblood et des Scorpion.
Si l’ombre de Kwai Chang Caine poursuit Bill à travers son acteur, David Carradine, et par contre-coup le volume 2, les fantômes de Yuki et Sasori hantent le volume 1. Mais hanter n’est pas vampiriser. Car Uma n’est pas Meiko, car “ "Flower of carnage” " appartient désormais autant à Kill Bill qu’à Blizzard from the Netherworld, car cette élégiaque chanson épouse tout autant le destin d’O-Ren Ishii et la quête de la Mariée.
Quand, un instant plus tôt, le visage de Black Mamba se confond avec celui, tuméfié, de la Mariée, et que Beatrix Kiddo demande des comptes à Cotton Mouth, elle rejoint les figures mythiques du western spaghetti, celle de l’orphelin vengeur de La mort était au rendez-vous, celle de l’homme à l’harmonica d’Il était une fois dans l’Ouest. Mais la partition de Morricone adopte le seul point de vue de la Mariée, car le regard azuré d’Uma n’est pas celui en acier de Law et Bronson.
Entre temps, Black Mamba a rugi, a ravagé, jouant du katana en jouant les acrobates, comme Gene Kelly jouait à l’épée dans Les trois mousquetaires, en dansant.
Quand Black Mamba et California Mountain Snake se font face, prêtes à charger avec leur katana, le duel leonien épouse ceux des yakuzas eiga, se prolonge dans un corps à corps de Gosha, et se termine par une mutilation estampillée wu xia pian. De leur fusion et leur alchimie, naît un style nouveau, celui de Tarantino, intense et serré, car le duel entre les deux vipères assassines n’appartient qu’à lui, car il rejoint celui, mythique, entre le bon, la brute et le truand, car le duel est grandiose, tout en se déroulant dans un espace restreint, car Tarantino est surtout un grand magicien et un grand créateur de fantasmes.
Quand Beatrix applique sur Bill la technique du coeur explosé par la paume à cinq pointes, que Bill se lève et s’éloigne pour s’effondrer cinq pas plus loin, l’art de Tarantino atteint son apogée, car Uma et David entrent alors dans la légende du cinéma, car les c(h)oeurs de Morricone désormais ne sont plus seulement dédiés à Navajo Joe, car le nôtre s’emballe pour la lionne qui a retrouvé son petit.
Comme ses aînés nippons, chinois et italiens, Kill Bill est un film qui a de la gueule, du coeur et des tripes. Son carburant est identique : le sang. Un sang sensuel et flamboyant.
Le grand duel
Salope… tu n’as pas d’avenir.
Et le serpent des montagnes de Californie est une salope de première, la plus vicieuse et la plus venimeuse des vipères assassines. Elle Driver n’a pas d’avenir mais surtout aucun passé. C’est le mal incarné. Un puits sans fond. Lui ôter ses orbites n’était donc pas pure coquetterie “ "wu xia pian” " de la part de Tarantino. Elle qui ne renvoyait aucun reflet devait être chatiée là où çà fait mal. Là où elle avait péché.
Et le serpent des montagnes de Californie est une salope de première, la plus vicieuse et la plus venimeuse des vipères assassines. Elle Driver n’a pas d’avenir mais surtout aucun passé. C’est le mal incarné. Un puits sans fond. Lui ôter ses orbites n’était donc pas pure coquetterie “ "wu xia pian” " de la part de Tarantino. Elle qui ne renvoyait aucun reflet devait être chatiée là où çà fait mal. Là où elle avait péché.
O-Ren
Si Tarantino avait inclus dans son film le rap de RZA “ "Ode to O-Ren Ishii” ", la face de Kill Bill vol. 1 en eut été sans doute changé. Tarantino, on le sait, est passé maître dans l’art de créer des icônes, de telle sorte que chacun de ses personnages pourrait être l’objet d’un film à lui. Et O-Ren Ishii plus que n’importe quel autre. Plus que Bill lui-même. Le parcours d’o-Ren est suffisamment tragique et maléfique pour cela. A voir le tétanisant segment animé retraçant le sauvage assassinat de ses parents et sa sanguine vengeance, puis la fin très mélancolique que lui a accordé Tarantino (signe d’un attachement évident pour le personnage), on ne peut qu’en être convaincu. Seulement, voilà, Kill Bill appartient à Beatrix Kiddo. A personne d’autre. La vengeance que figure le titre est celle d’une seule héroïne. Tarantino, en bon stratège, ne pouvait se permettre d’accorder un trop plein d’O-Ren Ishii à son volume 1. Et le rap fondamental conçu par RZA a sans doute dépassé l’attente de QT. QT qui, au lieu de commander des musiques originales par peur d’être déçu, a l’habitude d’emprunter les scores de ses films fétiches pour les coller à ses personnages et à ses films. Ainsi, on n’entendra jamais dans Kill Bill le rap de RZA. Soit 2 minutes et 10 secondes terrassantes d’intensité émotionnelle. En associant seulement sa trame musicale (sans les magnifiques paroles consacrées à O-Ren) à Beatrix confrontée à son infirmier violeur, Tarantino détourne sa commande de son sens premier pour en faire un monument de suspense collé à sa seule héroïne.
Pulp Fiction
N’en déplaise aux tarantinophobes, en réalisant sa fiction pulpeuse, l’ami Quentin n’a eu de prétention que de faire son cinéma, rien que son cinéma. Si Travolta, en revêtant l’armure de McQueen dans Guet-Apens, semble issu de la mythologie du film noir américain, et si Uma, en revêtant celle d’Anna Karina dans Vivre sa vie, semble issue de la nouvelle vague française, Vincent Vega et Mia Wallace n’appartiennent qu’à Tarantino. Autrement dit, si certains ingrédients sont importés, la recette, elle, n’est pas la même, de sorte qu’elle délivre un goût unique, un goût flamboyant et jouissif, celui d’un milkshake ou de pancakes succulents, celui d’un Martin et Lewis ou d’un Big Kahuna Burger alléchants.
Pulp Fiction, c’est Mia qui danse en solo sur un poignant “ "Girl, you’ll be a woman soon” ", et qui danse avec Vincent un twist entré dans la légende du cinéma ; c’est aussi l’histoire d’une montre et de ses aventures déchirantes ; c’est Butch qui, le sourire en coin, se déclare sous-estimé après sa confrontation avec Vincent, et qui retrouve Marsellus sur son chemin quelques mètres plus loin ; c’est Marsellus Wallace le chef de gang respecté qui se fait enculer par un flic pervers et Butch qui vole au secours de son derrière, un katana de Gosha à la main ; c’est Vincent ressuscité qui range son flingue dans son short et qui, un instant auparavant, le visage aspergé du sang et de la cervelle de Marvin, déclarait : “ "j’ai pas fait exprès, c’est parti tout seul” ". Tout un symbole du cinéma ludique de Tarantino qui, outre une distorsion temporelle créée pour accroître le plaisir du spectateur, provoque aussi une explosion multi-sensorielle dont le feu d’artifice se déroule au Jackrabbit’ Slim, lieu magique et décor de cinéma sensationnel (déjà mythique). Le paradis de Tarantino, selon Tarantino, qui y convoque ses nombreuses icônes, ses nombreux fantômes.
Pulp Fiction, c’est un croisement inédit entre TexAvery (les “ "résurrections” " de Mia et Vincent en soulignent la parenté) et la série noire, illustré par le pop’art.
I shoot Marvin in the face…
Pulp Fiction, c’est le pied intégral.
Pulp Fiction, c’est Mia qui danse en solo sur un poignant “ "Girl, you’ll be a woman soon” ", et qui danse avec Vincent un twist entré dans la légende du cinéma ; c’est aussi l’histoire d’une montre et de ses aventures déchirantes ; c’est Butch qui, le sourire en coin, se déclare sous-estimé après sa confrontation avec Vincent, et qui retrouve Marsellus sur son chemin quelques mètres plus loin ; c’est Marsellus Wallace le chef de gang respecté qui se fait enculer par un flic pervers et Butch qui vole au secours de son derrière, un katana de Gosha à la main ; c’est Vincent ressuscité qui range son flingue dans son short et qui, un instant auparavant, le visage aspergé du sang et de la cervelle de Marvin, déclarait : “ "j’ai pas fait exprès, c’est parti tout seul” ". Tout un symbole du cinéma ludique de Tarantino qui, outre une distorsion temporelle créée pour accroître le plaisir du spectateur, provoque aussi une explosion multi-sensorielle dont le feu d’artifice se déroule au Jackrabbit’ Slim, lieu magique et décor de cinéma sensationnel (déjà mythique). Le paradis de Tarantino, selon Tarantino, qui y convoque ses nombreuses icônes, ses nombreux fantômes.
Pulp Fiction, c’est un croisement inédit entre TexAvery (les “ "résurrections” " de Mia et Vincent en soulignent la parenté) et la série noire, illustré par le pop’art.
I shoot Marvin in the face…
Pulp Fiction, c’est le pied intégral.
Girl, you'll be a woman soon
Fétichisme du regard, Uma, dans le rôle de Mia, consacre celui de Tarantino. Au fantasme du réalisateur de devenir à son tour celui, inoubliable, du spectateur…
The King of New York
Tout le monde meurt à la fin de King of New York. Flics et gangsters. Les armes à la main. Aucun échappatoire.
17 ans après sa sortie, le film électrochoc et crépusculaire d’Abel Ferrara conserve toute sa force et toute sa rage. Toute sa poésie et sa mélancolie aussi. En dépit de son extrémisme, de son jusqu’au boutisme. Ferrara, le “poète gangster du cinéma”, appartient à New York et New York, lorsque la nuit tombe, appartient à Ferrara. Christopher Walken incarne Franck White, comme Max Shreck incarnait Nosferatu. Au coeur du film de Ferrara, l’extrait du film de Murnau confirme la parenté des deux oeuvres (film de vampire expressionniste) et des deux personnages (mort et vivant). Au début du film, Franck White sort d’une longue peine d’enfermement. Il n’est plus le vampire qu’il était. Blanc comme un cadavre exsangue, Franck White a besoin de sang pour être réanimé. Une dernière fois. Afin de construire un hôpital pour enfants, il retrouve donc les siens : ses deux superbes gardes du corps, prêtes au sacrifice pour le protéger (rappelant les fiancées du célèbre comte), et sa meute (ses enfants) qui attendaient son retour pour reconquérir les territoires perdus ou laissés vacants. Le sang va à nouveau couler, à flots. Il sera pluri-ethnique : colombien, chinois, italien. Et irlandais.
Tétanisant et électrisant dans sa violence, le film de Ferrara carbure aussi à la blanche et au sexe. Sans concessions, The King of New York atteint son point culminant dans le repaire du gang de White, entièrement dédié au monde souterrain. Transgressif, The King of New York l’est aussi dans le spectacle qu’il offre. Spectacle excitant et transcendant lorsque des filles aux seins nus dansent frénétiquement sur un rap de Schoolly D, ou lorsqu’une splendide blonde lèche de la cocaïne sur le ventre d’un client. Spectacle jouissif lorsque des flics déguisés en concurrents entrent dans la danse et font le ménage, transformant la séquence en véritable ballet orgiaque. Ballet de corps secoués par l’impact de munitions de gros calibres, toujours rythmé par le morceau “Am I black enough for you ?”. Tout un programme. Spectacle paroxystique lorsque le déchaînement de violence se poursuit, sous la pluie, dans les rues bleutées et électriques de New York. Poursuite effrenée en voitures, vitesse surmultipliée et insensée d’un gunfight à partir d’un toit ouvrant, confèrent à la séquence une sensationnelle impression d’irréalité. Avant de se conclure dans un terrain vague, dans un cimetière (en plein jour, mais à l’abri de la lumière), dans le métro, et finalement dans un taxi.
Juste avant l’aube.
17 ans après sa sortie, le film électrochoc et crépusculaire d’Abel Ferrara conserve toute sa force et toute sa rage. Toute sa poésie et sa mélancolie aussi. En dépit de son extrémisme, de son jusqu’au boutisme. Ferrara, le “poète gangster du cinéma”, appartient à New York et New York, lorsque la nuit tombe, appartient à Ferrara. Christopher Walken incarne Franck White, comme Max Shreck incarnait Nosferatu. Au coeur du film de Ferrara, l’extrait du film de Murnau confirme la parenté des deux oeuvres (film de vampire expressionniste) et des deux personnages (mort et vivant). Au début du film, Franck White sort d’une longue peine d’enfermement. Il n’est plus le vampire qu’il était. Blanc comme un cadavre exsangue, Franck White a besoin de sang pour être réanimé. Une dernière fois. Afin de construire un hôpital pour enfants, il retrouve donc les siens : ses deux superbes gardes du corps, prêtes au sacrifice pour le protéger (rappelant les fiancées du célèbre comte), et sa meute (ses enfants) qui attendaient son retour pour reconquérir les territoires perdus ou laissés vacants. Le sang va à nouveau couler, à flots. Il sera pluri-ethnique : colombien, chinois, italien. Et irlandais.
Tétanisant et électrisant dans sa violence, le film de Ferrara carbure aussi à la blanche et au sexe. Sans concessions, The King of New York atteint son point culminant dans le repaire du gang de White, entièrement dédié au monde souterrain. Transgressif, The King of New York l’est aussi dans le spectacle qu’il offre. Spectacle excitant et transcendant lorsque des filles aux seins nus dansent frénétiquement sur un rap de Schoolly D, ou lorsqu’une splendide blonde lèche de la cocaïne sur le ventre d’un client. Spectacle jouissif lorsque des flics déguisés en concurrents entrent dans la danse et font le ménage, transformant la séquence en véritable ballet orgiaque. Ballet de corps secoués par l’impact de munitions de gros calibres, toujours rythmé par le morceau “Am I black enough for you ?”. Tout un programme. Spectacle paroxystique lorsque le déchaînement de violence se poursuit, sous la pluie, dans les rues bleutées et électriques de New York. Poursuite effrenée en voitures, vitesse surmultipliée et insensée d’un gunfight à partir d’un toit ouvrant, confèrent à la séquence une sensationnelle impression d’irréalité. Avant de se conclure dans un terrain vague, dans un cimetière (en plein jour, mais à l’abri de la lumière), dans le métro, et finalement dans un taxi.
Juste avant l’aube.
Boulevard de la mort
Bien fait pour sa gueule, c’est ce qui vient à l’esprit lorsque trois filles, à la fin du film, donnent une sévère leçon à Mike le cascadeur déjanté.
Femmes au volant, danger au tournant : les filles aussi aiment jouer sur les capots moteur, autrement que pour y être culbutées, les filles aussi aiment les grosses cylindrées, furieuses et explosives, les filles aussi peuvent se servir d’un bolide comme d’une arme. Un bolide pour les venger toutes.
“Laisse tomber les filles, laisse tomber les filles, un jour c’est toi qu’on laissera, laisse tomber les filles, laisse tomber les filles, çà te jouera un mauvais tour, laisse tomber les filles, laisse tomber les filles, tu le paieras un de ces jours, laisse tomber les filles, laisse tomber les filles, un jour c’est toi qui perdra, on ne joue pas impunément avec un coeur innocent, avec un coeur innocent, tu verras ce que je ressens, avant qu’il ne soit longtemps, avant qu’il ne soit longtemps”, tout est joliment dit dans les paroles de l’entraînante chanson Chick Habit d’April March.
Et si Tarantino, contrairement à tout ce qui a été dit sur lui et son cinéma soi-disant uniquement dicté par une relation charnelle avec les images (les pénétrer par désir, sans vouloir ou pouvoir aller au fond des choses : le corpus sans le spiritus), avait en réalité quelque chose à dire, ne parlait pas que de lui ? Et si Tarantino, en racontant des histoires de vengeances de femmes, en les enrobant de son fétichisme, de ses fantasmes de garçon (les Pom Pom girls, les belles caisses, les tôles fracassées, les guiboles et les pieds des jolies donzelles), était avant tout un féministe jusqu’au boutiste ?
Boulevard de la mort, comme Pulp Fiction et Kill Bill, raconte encore une histoire de gueules et de pieds. Des gueules et des pieds que Tarantino sublime, érotise, mutile, martyrise, pour mieux les aimer…
Femmes au volant, danger au tournant : les filles aussi aiment jouer sur les capots moteur, autrement que pour y être culbutées, les filles aussi aiment les grosses cylindrées, furieuses et explosives, les filles aussi peuvent se servir d’un bolide comme d’une arme. Un bolide pour les venger toutes.
“Laisse tomber les filles, laisse tomber les filles, un jour c’est toi qu’on laissera, laisse tomber les filles, laisse tomber les filles, çà te jouera un mauvais tour, laisse tomber les filles, laisse tomber les filles, tu le paieras un de ces jours, laisse tomber les filles, laisse tomber les filles, un jour c’est toi qui perdra, on ne joue pas impunément avec un coeur innocent, avec un coeur innocent, tu verras ce que je ressens, avant qu’il ne soit longtemps, avant qu’il ne soit longtemps”, tout est joliment dit dans les paroles de l’entraînante chanson Chick Habit d’April March.
Et si Tarantino, contrairement à tout ce qui a été dit sur lui et son cinéma soi-disant uniquement dicté par une relation charnelle avec les images (les pénétrer par désir, sans vouloir ou pouvoir aller au fond des choses : le corpus sans le spiritus), avait en réalité quelque chose à dire, ne parlait pas que de lui ? Et si Tarantino, en racontant des histoires de vengeances de femmes, en les enrobant de son fétichisme, de ses fantasmes de garçon (les Pom Pom girls, les belles caisses, les tôles fracassées, les guiboles et les pieds des jolies donzelles), était avant tout un féministe jusqu’au boutiste ?
Boulevard de la mort, comme Pulp Fiction et Kill Bill, raconte encore une histoire de gueules et de pieds. Des gueules et des pieds que Tarantino sublime, érotise, mutile, martyrise, pour mieux les aimer…
Coffy
Avant d’incarner la rutilante Jackie Brown pour le compte de Tarantino, la plantureuse Pam Grier fut propulsée icône de la blaxploitation en interprétant l’explosive Coffy, version féminine et black de Paul Kersey, le justicier de nombreuses villes et de nombreux quartiers malfamés.
Avec un sens de la communauté qui lui est propre, et depuis que sa petite soeur vit dans un autre monde pour avoir goûté à la blanche, la panthère noire de Harlem est partie en guerre contre tous ceux qui nuisent à ses contemporains de couleur : macs, mafiosi, politiciens vereux, dealers. Sa soif de vengeance et de justice, elle l’assouvit dès les premières minutes du film en faisant exploser la tête d’un libidineux trafiquant d’héroïne et en injectant une dose excessive de ladite dope à l’un de ses revendeurs. Non sans lui avoir tenu au préalable un discours pré-tarantinesque : si çà te tue, tu franchiras les portes du paradis avec le plus grand sourire que Saint Pierre ait jamais vu. Le reste est à l’avenant, le film funky de Jack Hill nous plonge dans le monde des putes de luxe, des boîtes de strip et des maqueraux hauts en couleurs typiques des seventies.
Coffy, surtout, s’épanouit à travers son actrice. Dans sa haute capacité à payer de sa personne (entendre sa mirobolante plastique) pour satisfaire les envies voyeuristes du spectateur. Dans celle de son héroïne pour parvenir à ses fins, son opulence corporelle servant autant comme moyen de diversion que de cache pour objets coupants ou perforants.
Le film, assurément, tient les promesses de son générique : Coffy ressent bel et bien profondément et a bel et bien la couleur de son public…
Avec un sens de la communauté qui lui est propre, et depuis que sa petite soeur vit dans un autre monde pour avoir goûté à la blanche, la panthère noire de Harlem est partie en guerre contre tous ceux qui nuisent à ses contemporains de couleur : macs, mafiosi, politiciens vereux, dealers. Sa soif de vengeance et de justice, elle l’assouvit dès les premières minutes du film en faisant exploser la tête d’un libidineux trafiquant d’héroïne et en injectant une dose excessive de ladite dope à l’un de ses revendeurs. Non sans lui avoir tenu au préalable un discours pré-tarantinesque : si çà te tue, tu franchiras les portes du paradis avec le plus grand sourire que Saint Pierre ait jamais vu. Le reste est à l’avenant, le film funky de Jack Hill nous plonge dans le monde des putes de luxe, des boîtes de strip et des maqueraux hauts en couleurs typiques des seventies.
Coffy, surtout, s’épanouit à travers son actrice. Dans sa haute capacité à payer de sa personne (entendre sa mirobolante plastique) pour satisfaire les envies voyeuristes du spectateur. Dans celle de son héroïne pour parvenir à ses fins, son opulence corporelle servant autant comme moyen de diversion que de cache pour objets coupants ou perforants.
Le film, assurément, tient les promesses de son générique : Coffy ressent bel et bien profondément et a bel et bien la couleur de son public…
Intimate confessions of a chinese courtesan
Ecoute, voyageur.
L’histoire est celle d’Ai Nu et de Lady Chun. C’est une histoire de Chine. Une histoire érotique. Une histoire d’amour. Une histoire d’amour tragique, parce qu’elle finit mal ; une histoire d’amour impossible, parce qu’elle commence mal.
L’histoire débute sur un tas de cendres, les restes d’un notable. Car l’histoire est également celle d’une vengeance.
Quand Ai Nu nous apparait pour la première fois, elle respire de bonheur dans son plus bel apparat, baillant une longue nuit d’amour, allanguie par de fols ébats. Elle fait voler ses longs cheveux de jais, danse et s’extasie devant ce qui s’offre à elle. Des servantes lui ôtent sa robe pour en envelopper l’écran et nous cacher sa nudité.
Mais Ai Nu se rappelle : elle n’oublie pas qu’elle fut fille d’un pauvre lettré, ni comment elle fut capturée par des brigands, encagée, pour être présentée, alors qu’elle revêtait une apparence paysanne et rebelle, à celle qui allait la domestiquer, la modeler en courtisane, belle à pleurer. Celle qui allait lui vouer un amour immodéré : Lady Chun, une mère maquerelle de la pire espèce, mais d’une beauté extrême. Une autre beauté de Chine. Racée, stupéfiante. Une beauté qui culmine lorsqu’elle lèche le sang de ses victimes, car Lady Chun est un vampire qui se nourrit du sang d’autrui. A l’inverse d’Ai Nu dont la beauté est à son apogée quand elle fait semblant. Quand elle fait semblant de se soumettre et d’être heureuse. Mais son désir de vengeance est plus fort que son désir d’aimer, même quand le bourreau se fait agneau. Car elle n’oublie pas qu’elle fut esclave avant de devenir concubine. Que l’amour de Lady Chun lui fut imposé.
Une histoire de Chine.
L’histoire est celle d’Ai Nu et de Lady Chun. C’est une histoire de Chine. Une histoire érotique. Une histoire d’amour. Une histoire d’amour tragique, parce qu’elle finit mal ; une histoire d’amour impossible, parce qu’elle commence mal.
L’histoire débute sur un tas de cendres, les restes d’un notable. Car l’histoire est également celle d’une vengeance.
Quand Ai Nu nous apparait pour la première fois, elle respire de bonheur dans son plus bel apparat, baillant une longue nuit d’amour, allanguie par de fols ébats. Elle fait voler ses longs cheveux de jais, danse et s’extasie devant ce qui s’offre à elle. Des servantes lui ôtent sa robe pour en envelopper l’écran et nous cacher sa nudité.
Mais Ai Nu se rappelle : elle n’oublie pas qu’elle fut fille d’un pauvre lettré, ni comment elle fut capturée par des brigands, encagée, pour être présentée, alors qu’elle revêtait une apparence paysanne et rebelle, à celle qui allait la domestiquer, la modeler en courtisane, belle à pleurer. Celle qui allait lui vouer un amour immodéré : Lady Chun, une mère maquerelle de la pire espèce, mais d’une beauté extrême. Une autre beauté de Chine. Racée, stupéfiante. Une beauté qui culmine lorsqu’elle lèche le sang de ses victimes, car Lady Chun est un vampire qui se nourrit du sang d’autrui. A l’inverse d’Ai Nu dont la beauté est à son apogée quand elle fait semblant. Quand elle fait semblant de se soumettre et d’être heureuse. Mais son désir de vengeance est plus fort que son désir d’aimer, même quand le bourreau se fait agneau. Car elle n’oublie pas qu’elle fut esclave avant de devenir concubine. Que l’amour de Lady Chun lui fut imposé.
Une histoire de Chine.
Le giallo s'affiche...
… dans son format d’origine…
Apocalypto
L’Apocalypse selon Sainte Anna et Sainte Lucie.
Apocalypse, du terme grec Apokalupsis et traduit de l’hebreu Nigla, qui signifie : mise à nu, enlèvement du voile, révélation.
Le cinéma français actuel est sans danger, à de rares exceptions près. Le constat est sans appel : si le verbe y est tout puissant, ses dépressions sont légères et casanières, ses tristesses rarement extrêmes. Dans ce paysage sclérosé et stéréotypé, correct sous tous rapports, il était logique que le film de Laugier fasse couler beaucoup d’encre et provoque beaucoup de bruit. Ses détracteurs ont décrié sa violence inouie, tout en oubliant qu’elle était entourée d’une tristesse infinie. Celle, incommensurable, des deux héroïnes, engendrée par le remords et les épreuves endurées. Mais aussi celle, sismique et radicale, éprouvée par le spectateur, qui a rarement autant vécu, autant souffert pour des personnages de fiction. Martyrs est autant une expérience qu’un film. Une expérience cataclysmique. A cet égard, il nous semble urgent de louer l’immense performance d’actrices de Mylène Jampanoi et Morjane Aloui, bouleversantes martyrs du film éponyme. Leurs compositions n’ont pas le confort habituel de nos actrices embourgeoisées et tout public. Voir Lucie pleurer sur les cadavres qu’elle a semé et leur demander pourquoi ils lui ont fait çà, pour croire que Mylène, elle, ne joue pas, pour dire que Mylène, à cet instant précis, atteint la note ultime du desespoir le plus absolu. Voir Anna détruite entendre la voix de son âme soeur (Lucie qui n’a plus à souffrir, à avoir peur) lui chuchoter qu’elle sera toujours avec elle, entendre finalement Anna lui dire d’une voix timide et tremblante “tu me manques”, pour dire que Morjane, elle, atteint là l’accent de vérité propre au fond de la détresse. Autrement dit, du jamais vu dans notre cinéma presque virginal.
Dire ensuite que Martyrs n’est pas un film de genre sans conséquence, n’est pas un film d’horreur pour gogos en tous genres, pour attester que le film de Laugier a une âme et n’est donc pas vain. Martyrs n’a pas la gratuité des "tortures porns" qui envahissent ces temps-ci les écrans. Il est de la race des oeuvres desespérées nous précipitant dans un abyme sans fond, de la veine des films d’Argento ou de Massacre à la tronçonneuse, celle aussi d’Une balle dans la tête. Si la mort et ses questions sont les mobiles des tortionnaires, l’apocalypse et la folie sont les sujets du film. Martyrs a l’immense courage et l’immense mérite de donner une version terriblement poignante de la première et de saisir certains des mystères prétendument insondables de la seconde. Martyrs nous plonge dans un trou noir et dans un vortex. Il y avait longtemps que notre cinéma cartésien, rarement prompt à évoquer ces thèmes-là, n’avait ressenti une telle douleur et une telle secousse.
Anna, t’es là ?
Je suis là.
Anna ?
Oui Lucie.
Pourquoi t’as jamais peur, toi ?
J’ai peur.
Oui, mais pas comme moi.
J’ai pas vécu ce que t’as vécu. Comment faire pour ne plus avoir peur ?
Faut se laisser aller, je crois.
Tu crois ?
Faut se laisser aller.
Si j’y arrive pas, tu seras là ?
Oui.
Tu me manques.
Lucie et Anna.
Martyrs de Pascal Laugier.
Et l’on voit tout au fond, quand l’oeil ose y descendre,
Au-delà de la vie, et du souffle et du bruit.
Victor Hugo, Ce que dit la bouche d’ombre.
Lucie, t’es là ?
Oui Anna.
Apocalypse, du terme grec Apokalupsis et traduit de l’hebreu Nigla, qui signifie : mise à nu, enlèvement du voile, révélation.
Le cinéma français actuel est sans danger, à de rares exceptions près. Le constat est sans appel : si le verbe y est tout puissant, ses dépressions sont légères et casanières, ses tristesses rarement extrêmes. Dans ce paysage sclérosé et stéréotypé, correct sous tous rapports, il était logique que le film de Laugier fasse couler beaucoup d’encre et provoque beaucoup de bruit. Ses détracteurs ont décrié sa violence inouie, tout en oubliant qu’elle était entourée d’une tristesse infinie. Celle, incommensurable, des deux héroïnes, engendrée par le remords et les épreuves endurées. Mais aussi celle, sismique et radicale, éprouvée par le spectateur, qui a rarement autant vécu, autant souffert pour des personnages de fiction. Martyrs est autant une expérience qu’un film. Une expérience cataclysmique. A cet égard, il nous semble urgent de louer l’immense performance d’actrices de Mylène Jampanoi et Morjane Aloui, bouleversantes martyrs du film éponyme. Leurs compositions n’ont pas le confort habituel de nos actrices embourgeoisées et tout public. Voir Lucie pleurer sur les cadavres qu’elle a semé et leur demander pourquoi ils lui ont fait çà, pour croire que Mylène, elle, ne joue pas, pour dire que Mylène, à cet instant précis, atteint la note ultime du desespoir le plus absolu. Voir Anna détruite entendre la voix de son âme soeur (Lucie qui n’a plus à souffrir, à avoir peur) lui chuchoter qu’elle sera toujours avec elle, entendre finalement Anna lui dire d’une voix timide et tremblante “tu me manques”, pour dire que Morjane, elle, atteint là l’accent de vérité propre au fond de la détresse. Autrement dit, du jamais vu dans notre cinéma presque virginal.
Dire ensuite que Martyrs n’est pas un film de genre sans conséquence, n’est pas un film d’horreur pour gogos en tous genres, pour attester que le film de Laugier a une âme et n’est donc pas vain. Martyrs n’a pas la gratuité des "tortures porns" qui envahissent ces temps-ci les écrans. Il est de la race des oeuvres desespérées nous précipitant dans un abyme sans fond, de la veine des films d’Argento ou de Massacre à la tronçonneuse, celle aussi d’Une balle dans la tête. Si la mort et ses questions sont les mobiles des tortionnaires, l’apocalypse et la folie sont les sujets du film. Martyrs a l’immense courage et l’immense mérite de donner une version terriblement poignante de la première et de saisir certains des mystères prétendument insondables de la seconde. Martyrs nous plonge dans un trou noir et dans un vortex. Il y avait longtemps que notre cinéma cartésien, rarement prompt à évoquer ces thèmes-là, n’avait ressenti une telle douleur et une telle secousse.
Anna, t’es là ?
Je suis là.
Anna ?
Oui Lucie.
Pourquoi t’as jamais peur, toi ?
J’ai peur.
Oui, mais pas comme moi.
J’ai pas vécu ce que t’as vécu. Comment faire pour ne plus avoir peur ?
Faut se laisser aller, je crois.
Tu crois ?
Faut se laisser aller.
Si j’y arrive pas, tu seras là ?
Oui.
Tu me manques.
Lucie et Anna.
Martyrs de Pascal Laugier.
Et l’on voit tout au fond, quand l’oeil ose y descendre,
Au-delà de la vie, et du souffle et du bruit.
Victor Hugo, Ce que dit la bouche d’ombre.
Lucie, t’es là ?
Oui Anna.
Massacre à la tronçonneuse
Le film s’ouvre sur des tombes qu’on profane. L’auteur prend des photos, comme des trophées. Des tombes profanées, sera érigée une sculpture grotesque. La signature d’un esprit dérangé. Un tribu pour quelle divinité maléfique ?
Le film se clôt sur un gros caprice, celui de Leatherface qui voit s’échapper la seule survivante du massacre.
Entre les deux, une mise en abîme de l’humanité telle qu’on n’en a rarement vu sur un écran.
Difficile en effet de trouver expérience sensorielle fictive plus traumatisante et plus viscerale que celle provoquée par le film de Tobe Hooper. L’horreur et la folie qui y sont dépeintes sont tout autant sonores et épidermiques que visuelles. A cela, il faut y ajouter l’odeur nauséeuse et nauséabonde dégagée ainsi que le dégoût engendré par les images du film. Davantage qu’un film d’horreur, Massacre à la tronçonneuse reflétait un cauchemar bien réel : celui d’une Amerique malade, enlisée dans son bourbier vietnamien. Texas Chainsaw Massacre, avant tout, parle d’apocalypse. Une apocalypse du corps et du décor. Des corps soumis aux pires dégradations, aux pires martyrs, aux pires dénis : pendu vivant à un crochet de boucher (le clou du film), découpé comme de la viande de boucherie, abattu à coups de massue. Des corps jamais tout à fait morts, comme s’il fallait prolonger leur calvaire : un corps qui ressuscite dans un dernier sursaut, pour s’évader d’un frigo, un corps qui s’agite dans un dernier tremblement, un corps en décomposition qui ne veut pas mourir. Des décors souillés, gagnés par le pourrissement, ruinés ; un décorum tout entier dédié au macabre, à Thanatos.
Une apocalypse des esprits aussi : dégénérés et déliquescents. Le visage d’une certaine amérique : très profonde.
Le film se clôt sur un gros caprice, celui de Leatherface qui voit s’échapper la seule survivante du massacre.
Entre les deux, une mise en abîme de l’humanité telle qu’on n’en a rarement vu sur un écran.
Difficile en effet de trouver expérience sensorielle fictive plus traumatisante et plus viscerale que celle provoquée par le film de Tobe Hooper. L’horreur et la folie qui y sont dépeintes sont tout autant sonores et épidermiques que visuelles. A cela, il faut y ajouter l’odeur nauséeuse et nauséabonde dégagée ainsi que le dégoût engendré par les images du film. Davantage qu’un film d’horreur, Massacre à la tronçonneuse reflétait un cauchemar bien réel : celui d’une Amerique malade, enlisée dans son bourbier vietnamien. Texas Chainsaw Massacre, avant tout, parle d’apocalypse. Une apocalypse du corps et du décor. Des corps soumis aux pires dégradations, aux pires martyrs, aux pires dénis : pendu vivant à un crochet de boucher (le clou du film), découpé comme de la viande de boucherie, abattu à coups de massue. Des corps jamais tout à fait morts, comme s’il fallait prolonger leur calvaire : un corps qui ressuscite dans un dernier sursaut, pour s’évader d’un frigo, un corps qui s’agite dans un dernier tremblement, un corps en décomposition qui ne veut pas mourir. Des décors souillés, gagnés par le pourrissement, ruinés ; un décorum tout entier dédié au macabre, à Thanatos.
Une apocalypse des esprits aussi : dégénérés et déliquescents. Le visage d’une certaine amérique : très profonde.
La féline
Edwige Fenech, étoile et victime giallesque.
A la recherche de Catherine Spaak
Dellamorte dellamore Anna Terzi
S’offrir est mourir un peu…
De s’abandonner dans les bras de Carlo Giordani, Anna Terzi se soustrait davantage du monde. Ses lèvres ont beau faire mine de dire oui, ses yeux sont muets. Eteints, insondables. Déjà morts. Qui ne réflechissent plus la lumière, ni son partenaire. Sa bouche qui n’expire plus mime aussi la mort. Finita la dolce vita d’Il sorpasso.
Argento filme la mort même quand ses personnages font l’amour. Ou s’apprêtent à le faire. Argento tue son actrice sans tuer physiquement son personnage. Ni sa beauté. L’effrontée du fanfaron s’en est allée.
Catherine Spaak dans Le chat à neuf queues.
De s’abandonner dans les bras de Carlo Giordani, Anna Terzi se soustrait davantage du monde. Ses lèvres ont beau faire mine de dire oui, ses yeux sont muets. Eteints, insondables. Déjà morts. Qui ne réflechissent plus la lumière, ni son partenaire. Sa bouche qui n’expire plus mime aussi la mort. Finita la dolce vita d’Il sorpasso.
Argento filme la mort même quand ses personnages font l’amour. Ou s’apprêtent à le faire. Argento tue son actrice sans tuer physiquement son personnage. Ni sa beauté. L’effrontée du fanfaron s’en est allée.
Catherine Spaak dans Le chat à neuf queues.
Trauma
Trauma raconte l’histoire d’une saloperie de lézard qui ne peut s’empêcher de bouffer un joli papillon. En cela, il ne déroge pas aux autres Argento. Sauf qu’ici, on évacue l’histoire giallesque pour n’être chaviré que par l’histoire d’amour entre une mère et son fils à peine né, entre un père et sa fille en formation (et vice-versa, le film se terminant par un touchant “Je t’aime”). Une mère et un père à double facettes. Autrement dit, des meurtres orchestrés par le créateur de nos plus beaux cauchemars, on préfère cette fois l’appel et le requiem à Nicholas ou le regard porté par un père à sa fille en pleine éclosion. Un appel et un regard chuchotés et obsédants, poétiques et troublés. Davantage que l’image castratrice de la mère, récurrente chez le cinéaste transalpin, la figure du père préside le film. Sa première facette, laide, a des attentions et des intentions coupables (dans un rêve qui finit en cauchemar), elle sera décapité (pour écarter toute ambiguité), tandis que la seconde, tutélaire et belle (incarnée par David le héros du film), caresse l’héroïne d’un amour pur et innocent, cherchant à la protéger des affres de l’adolescence. Ici, l’anorexie et le suicide. De voir échapper son enfant, le père en question manifeste une peur bleue. Une peur, un amour éperdus et vertigineux lorsque David se lance à la recherche d’Aura dans un lac noir profond et la retrouve flottante dans un tableau paisible aux motifs enchanteurs. Une peinture mystique niant les morts passées et avenirs d’Argento. Bien plus qu’une histoire de têtes coupées dans un coffre de voiture, Trauma raconte l’histoire d’un magnifique sillage de lune sur un lac tellement opaque et d’un tableau tellement beau, précurseur d’un autre infiniment plus torturé, nommé Le syndrôme de Stendhal.
Aura, reviens. Aura, où es-tu ?Je ne te ferai jamais de mal. Je t’ai cherché partout. Dario ne pouvait être plus éloquent. Asia également.
Aura, reviens. Aura, où es-tu ?Je ne te ferai jamais de mal. Je t’ai cherché partout. Dario ne pouvait être plus éloquent. Asia également.
La jeune fille de l'eau
Tombe la pluie
Trompe la nuit
Cauchemar d’aurore…
Ruby Rain
Sliding down my face
Ruby Rain
Following my trace
Too late now, I’ve found you.
Trompe la nuit
Cauchemar d’aurore…
Ruby Rain
Sliding down my face
Ruby Rain
Following my trace
Too late now, I’ve found you.
Ophélie
I
Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
- On entend dans les bois lointains des hallalis.
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir.
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.
Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.
Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle ;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile :
- Un chant mystérieux tombe des astres d’or.
II
Ô pâle Ophélia ! belle comme la neige !
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !
- C’est que les vents tombant des grands monts de Norwège
T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté ;
C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure,
A ton esprit rêveur portait d’étranges bruits ;
Que ton coeur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits ;
C’est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d’enfant, trop humain et trop doux ;
C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s’assit muet à tes genoux !
Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
- Et l’Infini terrible effara ton oeil bleu !
III
- Et le Poète dit qu’aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis ;
Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.
Arthur Rimbaud.
I
Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
- On entend dans les bois lointains des hallalis.
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir.
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.
Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.
Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle ;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile :
- Un chant mystérieux tombe des astres d’or.
II
Ô pâle Ophélia ! belle comme la neige !
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !
- C’est que les vents tombant des grands monts de Norwège
T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté ;
C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure,
A ton esprit rêveur portait d’étranges bruits ;
Que ton coeur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits ;
C’est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d’enfant, trop humain et trop doux ;
C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s’assit muet à tes genoux !
Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
- Et l’Infini terrible effara ton oeil bleu !
III
- Et le Poète dit qu’aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis ;
Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.
Arthur Rimbaud.
Phenomena
Phenomena, ce n’est un secret pour personne, du moins pour les fans du travail d’Argento, ne souscrit pas aux recherches formelles qui l’ont précédé. Exit la texture veloutée et les couleurs chaudes du maître-giallo Profondo rosso ou des giallesques Suspiria et Inferno. Exit les surcharges du décor, sa représentation théatralisée et opératique de la peur. Exit la ville, place à la campagne ! Bienvenue à ses beautés champêtres et à ses horreurs enfouies.
Phenomena, pourtant, s’affirme comme l’un des plus personnels et sensoriels de son auteur. Pour cela, il doit être apprécié à sa juste valeur. De première importance dans son oeuvre. Argento y exhume ouvertement son goût pour la poésie tout en l’enrobant de ses obsessions morbides, galvanisé par un cadre naturel vagabond (la Suisse, ses forêts, ses vents, ses chutes d’eau) et par un habillage sonore stressant ou aérien. A travers l’histoire de son héroïne somnambule, témoin des meurtres frappant ses camarades d’école, le cinéaste déniche l’occasion d’aller plus loin dans ses velléités déambulatoires tout en n’abandonnant pas ses velléités assassines et voyeuristes.
A nouveaux décors, nouvelles envolées. A nouvelles peurs, nouveaux souffre-douleurs : un pensionnat de jeunes filles, le vivier idéal pour ses élucubrations sanglantes, sa fille Flore qui fait les frais de ses obsessions dès les premières minutes du métrage (tandis qu’Asia ne cessera d’en faire les frais dans sa filmographie ultérieure), sa future ex-compagne Daria Nicolodi (exit son personnage lunaire de Profondo rosso), un flic et un expert en insectes, criminologue à ses heures perdues (Donald Pleasance s’il vous plait). Leur sort est bien-sûr identique : une mort affreuse (méritée pour sa future ex), jamais expédiée.
L’héroïne, enfin, tranche avec les donzelles habituelles d’Argento. Exit la très pulpeuse Eleonora Giorgi, exit le glamour de Catherine Spaak et d’Irène Miracle. Place à la virginale Jennifer (Jennifer Connely à ses débuts) fraîchement débarquée des Etats-Unis, amie et commandeur des insectes, les complices traditionnels d’Argento. Des insectes qui ont droit à de très belles manifestations poétiques : une luciole guidant l’héroïne en pleine crise noctambule, un nuage d’insectes se formant pour cacher une pleine lune (avant de fondre sur un assaillant monstrueux), le regard multi-dimensionnel d’une coccinelle.
Entre conte poétique et cauchemar horrifique, Phenomena est un voyage hypnotique au bout de la nuit.
Phenomena, pourtant, s’affirme comme l’un des plus personnels et sensoriels de son auteur. Pour cela, il doit être apprécié à sa juste valeur. De première importance dans son oeuvre. Argento y exhume ouvertement son goût pour la poésie tout en l’enrobant de ses obsessions morbides, galvanisé par un cadre naturel vagabond (la Suisse, ses forêts, ses vents, ses chutes d’eau) et par un habillage sonore stressant ou aérien. A travers l’histoire de son héroïne somnambule, témoin des meurtres frappant ses camarades d’école, le cinéaste déniche l’occasion d’aller plus loin dans ses velléités déambulatoires tout en n’abandonnant pas ses velléités assassines et voyeuristes.
A nouveaux décors, nouvelles envolées. A nouvelles peurs, nouveaux souffre-douleurs : un pensionnat de jeunes filles, le vivier idéal pour ses élucubrations sanglantes, sa fille Flore qui fait les frais de ses obsessions dès les premières minutes du métrage (tandis qu’Asia ne cessera d’en faire les frais dans sa filmographie ultérieure), sa future ex-compagne Daria Nicolodi (exit son personnage lunaire de Profondo rosso), un flic et un expert en insectes, criminologue à ses heures perdues (Donald Pleasance s’il vous plait). Leur sort est bien-sûr identique : une mort affreuse (méritée pour sa future ex), jamais expédiée.
L’héroïne, enfin, tranche avec les donzelles habituelles d’Argento. Exit la très pulpeuse Eleonora Giorgi, exit le glamour de Catherine Spaak et d’Irène Miracle. Place à la virginale Jennifer (Jennifer Connely à ses débuts) fraîchement débarquée des Etats-Unis, amie et commandeur des insectes, les complices traditionnels d’Argento. Des insectes qui ont droit à de très belles manifestations poétiques : une luciole guidant l’héroïne en pleine crise noctambule, un nuage d’insectes se formant pour cacher une pleine lune (avant de fondre sur un assaillant monstrueux), le regard multi-dimensionnel d’une coccinelle.
Entre conte poétique et cauchemar horrifique, Phenomena est un voyage hypnotique au bout de la nuit.
L'équation d'Argento
Trois images, trois plans de Suspiria, pièce maîtresse de l’oeuvre du maestro de l’horreur. Deux couleurs fétiches : le rouge et le bleu. Le rouge pour l’énergie et la mort. Le bleu pour le secret et la peur.
Trois représentations majeures, trois figures géométriques variables du cinéma d’Argento, à la fois physique et métaphysique, terrifiant et onirique, morbide et érotique, pénétrant et pénétré, sensoriel et sensuel, hystérique et contemplatif, expérimental et maîtrisé, stressant et opératique : l’immersion (la plongée), le vertige (la contre-plongée) et la fascination (le gros plan) = une même sensation ethylique et labyrinthique : la perte de soi-même et de son univers.
Trois représentations majeures, trois figures géométriques variables du cinéma d’Argento, à la fois physique et métaphysique, terrifiant et onirique, morbide et érotique, pénétrant et pénétré, sensoriel et sensuel, hystérique et contemplatif, expérimental et maîtrisé, stressant et opératique : l’immersion (la plongée), le vertige (la contre-plongée) et la fascination (le gros plan) = une même sensation ethylique et labyrinthique : la perte de soi-même et de son univers.
Dexter
Décidement, la télévision comble les déficits du cinéma. Aller au fond des choses, tel est le créneau de toutes ces grandes séries ayant émergé sur les écrans ces dernières années : Battlestar Galactica, Rome, The Wire, Les Soprano. Les séries désormais en disent plus long sur l’âme humaine que les longs métrages. Le petit écran est dorénavant plus profond que le grand. Dexter, en parlant du phénomène médiatique à la mode des serials killers (mais phénomène violent aussi vieux que l’homme a appris le maniement du gourdin), va très loin dans l’exploration.
En s’attelant grâce à la voix off à nous faire entrer dans le cerveau malade de son personnage, tueur mais aussi expert au service de la police de Miami, Dexter nous plonge dans une expérience virtuelle des plus déroutantes et des plus dérangeantes.
Le générique de la série annonce le programme, invite d’emblée à la routine de Dexter. Ses envies de découper, de trancher, de saigner, d’étouffer, sont d’entrée révélées au spectateur. Sa faim de tuer, Dexter l’assouvit en éliminant ses congénères. Cadré par un père adoptif qui lui a appris à diriger ses pulsions vers les ordures. Une ethique artificielle, rien de moins qu’un drain, pour le maintenir en société. Jusqu’à ce que l’une de ses cibles potentielles, insaisissable et effroyable, communique avec lui. En laissant dans son appartement des petites poupées amputeés, en parsemant Miami (la vraie, la latino, la chaude) des morceaux de prostituées exsangues, en laissant en vie, mais salement amputée, une autre de ses victimes, pour qu’il finisse le travail. Loin de se livrer à un jeu, le tueur de glace, qui n’a pas oublié ce pourquoi il tue, entend réactiver la mémoire de Dexter, pour le faire revenir vers lui, en l’obligeant à nier le cadre imposé par sa famille adoptive : pour le libérer.
La série, qui égrène une violence forcément malsaine, réserve aussi son lot d’émotions. Le flashback cathartique et bouleversant, baigné de sang et de lumière. Le final qui voit Dexter commettre un sacrifice, mais pas celui escompté. Un petit chicano témoin d’un double homicide, qui dresse pour la police le portrait du tueur, son sauveur : les yeux de Dexter, le visage de Jésus !
En s’attelant grâce à la voix off à nous faire entrer dans le cerveau malade de son personnage, tueur mais aussi expert au service de la police de Miami, Dexter nous plonge dans une expérience virtuelle des plus déroutantes et des plus dérangeantes.
Le générique de la série annonce le programme, invite d’emblée à la routine de Dexter. Ses envies de découper, de trancher, de saigner, d’étouffer, sont d’entrée révélées au spectateur. Sa faim de tuer, Dexter l’assouvit en éliminant ses congénères. Cadré par un père adoptif qui lui a appris à diriger ses pulsions vers les ordures. Une ethique artificielle, rien de moins qu’un drain, pour le maintenir en société. Jusqu’à ce que l’une de ses cibles potentielles, insaisissable et effroyable, communique avec lui. En laissant dans son appartement des petites poupées amputeés, en parsemant Miami (la vraie, la latino, la chaude) des morceaux de prostituées exsangues, en laissant en vie, mais salement amputée, une autre de ses victimes, pour qu’il finisse le travail. Loin de se livrer à un jeu, le tueur de glace, qui n’a pas oublié ce pourquoi il tue, entend réactiver la mémoire de Dexter, pour le faire revenir vers lui, en l’obligeant à nier le cadre imposé par sa famille adoptive : pour le libérer.
La série, qui égrène une violence forcément malsaine, réserve aussi son lot d’émotions. Le flashback cathartique et bouleversant, baigné de sang et de lumière. Le final qui voit Dexter commettre un sacrifice, mais pas celui escompté. Un petit chicano témoin d’un double homicide, qui dresse pour la police le portrait du tueur, son sauveur : les yeux de Dexter, le visage de Jésus !
Tsunami
Difficile de faire plus terrible, ce flashback cathartique nous plonge dans un abîme d’émotions contraires. Impossible d’échapper à ce tsunami de sang et de lumière. Mais submerger n’est pas sombrer. Car l’abondance du sang ne saurait occulter la prédominance de la lumière. Une question se pose dès lors : quelle est l’origine de cette dernière ? Le halo qui éclaire le visage de la mère apparaît comme endogène, semblant trouver sa source dans l’amour qu’elle porte à son enfant. Qui est éclairé, inondé, de cet amour. Avec la volonté de l’aveugler. De la plus infime expression de son visage, d’une incroyable densité, à ce regard bouleversant, véritable océan d’amour, l’émotion émane principalement de la jeune femme. Elle sait qu’elle va mourir, mais ne pense qu’à son fils, à lui épargner la vision de sa mise à mort. Elle lui demande de détourner le regard, il ne le fera pas. C’est la deuxième naissance de Dexter.
Samaria
Jae-Young est bouleversante parce qu’elle sourit tout le temps. Même quand il le faut pas. Même quand elle est sur le point de s’éteindre. Même morte.
Son sourire vous poursuit longtemps. A dire vrai, c’est un sourire qui ne vous lache plus jamais. Le dernier sourire de Jae-Young, Yeo-Jin, son âme soeur, voudrait bien le faire disparaître. Car inconvenant. Car trop douloureux et impossible à gérer.
Jae-Young, avant de se jeter par la fenêtre, souriait parce qu’elle couchait avec des hommes plus âgés qu’elle, économisait leur argent, pour partir en voyage avec Yeo-Jin, sa complice.
Yeo-Jin qui couchera avec les mêmes hommes. Yeo-Jin qui rendra leur argent, pour rendre hommage à Jae-Young. Pour certifier que Jae-Young avait bel et bien un coeur pur.
Son sourire vous poursuit longtemps. A dire vrai, c’est un sourire qui ne vous lache plus jamais. Le dernier sourire de Jae-Young, Yeo-Jin, son âme soeur, voudrait bien le faire disparaître. Car inconvenant. Car trop douloureux et impossible à gérer.
Jae-Young, avant de se jeter par la fenêtre, souriait parce qu’elle couchait avec des hommes plus âgés qu’elle, économisait leur argent, pour partir en voyage avec Yeo-Jin, sa complice.
Yeo-Jin qui couchera avec les mêmes hommes. Yeo-Jin qui rendra leur argent, pour rendre hommage à Jae-Young. Pour certifier que Jae-Young avait bel et bien un coeur pur.
The Blade
On n’a jamais vu çà. çà, c’est The Blade. Le wu xia pian ultime et originel. Mais surtout l’un des films les plus inventifs qui ait été réalisé. Car The Blade est un film révolutionnaire avant toute chose. Cette révolution filmique, on la doit à Tsui Hark, génie du cinéma qui réinventa de magnifique façon le mythe de Wong Fei-hung dans sa saga Il était une fois en Chine. Dans The Blade, Tsui s’empare du manchot, autre figure mythique du cinéma de Hong Kong, héros importé du Japon (Tange Sazen étant à l’origine du mythe) et devenu emblématique avec La rage du tigre de Chang Cheh. Dans The Blade, Tsui convoque donc l’héritage chambara, notablement à travers ses autres icônes que sont le loup Itto Ogami et le masseur aveugle Zatoichi. De l’enfant harnaché sur le dos de son père au vêtement du héros qui se fend pour révéler sa blessure dorsale, séquences évoquant respectivement les Baby Cart et La vie d’un tatoué de Suzuki, les références au cinéma japonais sont nombreuses.
Révolutionnaire, The Blade l’est à plus d’un titre.
Révolutionnaire, d’abord parce que le chaos est le sujet du film. Le film, loin d’être crépusculaire, décrit l’aube de l’humanité. Son âge de fer. Il raconte l’état barbare et primitif de ses origines avant qu’elle ne se trouve des héros pour la faire évoluer.
Révolutionnaire aussi, parce que le chaos est au coeur de la mise en scène. Abandonnant la fluidité qui épousait le kung fu majestueux de Jet Li et les aventures du maître de Fu Shan que Tsui avait voulu amples et épiques (le troisième volet marquant l’aboutissement à la fois formel et spectaculaire de cette entreprise) au profit d’une réalisation épileptique faite de brusques recadrages et de zooms contradictoires (bien plus percutants et judicieux que ceux de Chang Cheh), de changements chromatiques et de superpositions de plans (donc, de points de vue) sidérants, réalisation transcendée par une bande son au diapason des images (mélange de notes tribales et orientales).
A la recherche de la vitesse absolue, le cinéma de Tsui Hark, on le verra de façon encore plus criante dans Seven Swords, est hanté par les aventures du guerrier de la route, certainement l’influence majeure de The Blade. Le monde de Max et celui de Ding On sont les mêmes. Les films de Miller et celui de Tsui sont frères.
Révolutionnaire, The Blade l’est à plus d’un titre.
Révolutionnaire, d’abord parce que le chaos est le sujet du film. Le film, loin d’être crépusculaire, décrit l’aube de l’humanité. Son âge de fer. Il raconte l’état barbare et primitif de ses origines avant qu’elle ne se trouve des héros pour la faire évoluer.
Révolutionnaire aussi, parce que le chaos est au coeur de la mise en scène. Abandonnant la fluidité qui épousait le kung fu majestueux de Jet Li et les aventures du maître de Fu Shan que Tsui avait voulu amples et épiques (le troisième volet marquant l’aboutissement à la fois formel et spectaculaire de cette entreprise) au profit d’une réalisation épileptique faite de brusques recadrages et de zooms contradictoires (bien plus percutants et judicieux que ceux de Chang Cheh), de changements chromatiques et de superpositions de plans (donc, de points de vue) sidérants, réalisation transcendée par une bande son au diapason des images (mélange de notes tribales et orientales).
A la recherche de la vitesse absolue, le cinéma de Tsui Hark, on le verra de façon encore plus criante dans Seven Swords, est hanté par les aventures du guerrier de la route, certainement l’influence majeure de The Blade. Le monde de Max et celui de Ding On sont les mêmes. Les films de Miller et celui de Tsui sont frères.