Lolita
(On dirait que tu te fiches de tout, tu n’aimes rien dans la vie… Tu vois pas comme je t’aimes ?)
Personne ne t’y oblige.
(Qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour te le prouver ?)
Décroche moi la Lune…
Isabelle Corey dans Bob le flambeur.
Personne ne t’y oblige.
(Qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour te le prouver ?)
Décroche moi la Lune…
Isabelle Corey dans Bob le flambeur.
Les bienfaits de la Lune
La Lune, qui est le caprice même, regarda par la fenêtre pendant que tu dormais dans ton berceau, et se dit : « Cette enfant me plaît. »
Et elle descendit moelleusement son escalier de nuages et passa sans bruit à travers les vitres. Puis elle s’étendit sur toi avec la tendresse souple d’une mère, et elle déposa ses couleurs sur ta face. Tes prunelles en sont restées vertes, et tes joues extraordinairement pâles. C’est en contemplant cette visiteuse que tes yeux se sont si bizarrement agrandis; et elle t’a si tendrement serrée à la gorge que tu en as gardé pour toujours l’envie de pleurer.
Cependant, dans l’expansion de sa joie, la Lune remplissait toute la chambre comme une atmosphère phosphorique, comme un poison lumineux ; et toute cette lumière vivante pensait et disait : « Tu subiras éternellement l’influence de mon baiser. Tu seras belle à ma manière. Tu aimeras ce que j’aime et ce qui m’aime : l’eau, les nuages, le silence et la nuit; la mer immense et verte ; l’eau uniforme et multiforme ; le lieu où tu ne seras pas ; l’amant que tu ne connaîtras pas ; les fleurs monstrueuses ; les parfums qui font délirer ; les chats qui se pâment sur les pianos et qui gémissent comme les femmes, d’une voix rauque et douce !
« Et tu seras aimée de mes amants, courtisée par mes courtisans. Tu seras la reine des hommes aux yeux verts dont j’ai serré aussi la gorge dans mes caresses nocturnes; de ceux-là qui aiment la mer, la mer immense, tumultueuse et verte, l’eau informe et multiforme, le lieu où ils ne sont pas, la femme qu’ils ne connaissent pas, les fleurs sinistres qui ressemblent aux encensoirs d’une religion inconnue, les parfums qui troublent la volonté, et les animaux sauvages et voluptueux qui sont les emblèmes de leur folie. »
Et c’est pour cela, maudite chère enfant gâtée, que je suis maintenant couché à tes pieds, cherchant dans toute ta personne le reflet de la redoutable Divinité, de la fatidique marraine, de la nourrice empoisonneuse de tous les lunatiques.
Charles Baudelaire.
Le dernier souffle
Le titre du roman de José Giovanni, Le deuxième souffle, trompe sur le propos du film éponyme de Melville chez qui, deuxième s’est toujours entendu dernier. Le dessein du cinéaste, en réalité, a toujours été de filmer le dernier souffle des derniers samouraïs. Un cinéaste et des samouraïs en hiver, à la recherche de l’accord suprême et du silence parfait. D’un film de Melville, on peut dire qu’il s’agit de filmer l’accord souverain de l’océan, l’accord triste d’un oiseau en cage, la rengaine lancinante des trains de nuit ou de banlieue, des cavales feutrées en forêt, des silences claustraux dérangés par le bruit du vent et de la pluie, ou zébrés de gunfights à la précision chirurgicale ; autrement dit, à travers ces bruits et ces silences, l’homme au stetson filmait des choix de vie et des choix de mort. Avant d’accorder à ses ronins le silence parfait auquel, plus ou moins en secret, ils aspiraient. Après leur avoir inventé des vies d’hommes libres et intègres, après avoir inventé la sienne, des vies non sujettes à dérision.
ll faut marcher seul, sans commettre de péché, avec peu de souhaits, comme un éléphant dans la forêt.
Ghost in the shell : Innocence, Mamoru Oshii. Jean-Pierre Melville aussi.
L'armée des ombres
Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon coeur
D’une langueur
Monotone.
Verlaine, Chanson d’automne.
Des violons
De l’automne
Blessent mon coeur
D’une langueur
Monotone.
Verlaine, Chanson d’automne.
Être melvillien ou ne pas être
Une âme ?
Un esprit vagabond lassé de vagabonder. Un esprit qui dort. Qui, de corps en corps, rêve une vie terrestre. Enfermé dans une boîte propice à mille douceurs et à mille douleurs. A mille plaisirs, à mille tortures. Qui lui font oublier ses vies et ses erreurs passées. Ses joies et ses peines révolues. A son réveil, lassé de rêver, la boîte qui retourne à la poussière. Un souvenir qui s’évanouit. Qui, néanmoins, enrichira ses rêveries futures.
La preuve ?
On la trouve dans les films de Melville. Métaphysique, le héros melvillien rêve, comme chacun sait, d’Amerique. De Plymouth, de Chevrolet. D’holsters et de Colts 45. D’impers et de borsalinos. L’Amérique en noir et blanc des années 50. Une Amérique fantasmée, zen et japonisante. Lassé de sa rêverie et de son sommeil, aspirant à retourner au cosmos, le héros melvillien est sur le point de se réveiller. Il ne ressemble ni à Bogart ni à Cagney. Il en revêt l’armure, mais n’en a pas le caractère ni l’esprit hollywoodien. Il n’est pas incandescent. Mais évanescent. Abstrait. Epuré. Il a également dépassé le stade de la mélancolie, il ne se masturbe et ne jouit plus de son absence au monde. Souvent mangé par le brouillard et la pluie, cinglé par un vent sec et glacial, le héros melvillien a toujours froid. Il veut retrouver le confort et la sérénité. Autrement dit, la plénitude. Il aspire à l’Eveil, au Nirvana. Débarrassé des passions humaines, il finit toujours bouddhiste.
Dans Le cercle rouge, une rose écarlate offerte au héros annonce sa mort prochaine. A s’en aller, l’écrin Corey n’affiche aucune tristesse. Juste un sourire d’adieu. Qui veut dire merci. Merci à cette expérience charnelle parmi les humains.
Gian Maria Volonte, lui, incarne une autre figure melvillienne. Remake en couleurs d’un Ventura noir et blanc, Volonte veut en finir avec un cauchemar récurrent chez Melville : cavaler, à perdre haleine, pour échapper à l’enfermement.
Il en va différemment pour Montand qui, après avoir réhabilité sa boîte, n’a plus de raison de continuer à l’habiter. Montand meurt d’avoir trop voulu viser. D’être trop minutieux. Trop de professionnalisme menace constamment de tuer l’instinct. Montand est ici une projection de Melville. Melville qui a toujours préféré la sensualité et la précision maniaque du geste à l’instinct mélodramatique du cinéma, menaçant de faire basculer son cinéma dans l’abstraction la plus muette. Pourtant, ses films, malgré leur beauté parfaite, restent émouvants. L’avarice des sentiments exprimés par ses personnages est le gage de leur fulgurance.
Dans les films de Melville, on s’éclipse en silence, on se réveille sans souffrir. Avant de vouloir rêver à nouveau. D’histoires d’honneur et d’amitié. D’histoires d’amour esquissées. Esquissées par des regards, par des frôlements d’âmes. D’histoires en noir et blanc, entre des flics et des truands. D’histoires de résistants. D’histoires révolues.
Un esprit vagabond lassé de vagabonder. Un esprit qui dort. Qui, de corps en corps, rêve une vie terrestre. Enfermé dans une boîte propice à mille douceurs et à mille douleurs. A mille plaisirs, à mille tortures. Qui lui font oublier ses vies et ses erreurs passées. Ses joies et ses peines révolues. A son réveil, lassé de rêver, la boîte qui retourne à la poussière. Un souvenir qui s’évanouit. Qui, néanmoins, enrichira ses rêveries futures.
La preuve ?
On la trouve dans les films de Melville. Métaphysique, le héros melvillien rêve, comme chacun sait, d’Amerique. De Plymouth, de Chevrolet. D’holsters et de Colts 45. D’impers et de borsalinos. L’Amérique en noir et blanc des années 50. Une Amérique fantasmée, zen et japonisante. Lassé de sa rêverie et de son sommeil, aspirant à retourner au cosmos, le héros melvillien est sur le point de se réveiller. Il ne ressemble ni à Bogart ni à Cagney. Il en revêt l’armure, mais n’en a pas le caractère ni l’esprit hollywoodien. Il n’est pas incandescent. Mais évanescent. Abstrait. Epuré. Il a également dépassé le stade de la mélancolie, il ne se masturbe et ne jouit plus de son absence au monde. Souvent mangé par le brouillard et la pluie, cinglé par un vent sec et glacial, le héros melvillien a toujours froid. Il veut retrouver le confort et la sérénité. Autrement dit, la plénitude. Il aspire à l’Eveil, au Nirvana. Débarrassé des passions humaines, il finit toujours bouddhiste.
Dans Le cercle rouge, une rose écarlate offerte au héros annonce sa mort prochaine. A s’en aller, l’écrin Corey n’affiche aucune tristesse. Juste un sourire d’adieu. Qui veut dire merci. Merci à cette expérience charnelle parmi les humains.
Gian Maria Volonte, lui, incarne une autre figure melvillienne. Remake en couleurs d’un Ventura noir et blanc, Volonte veut en finir avec un cauchemar récurrent chez Melville : cavaler, à perdre haleine, pour échapper à l’enfermement.
Il en va différemment pour Montand qui, après avoir réhabilité sa boîte, n’a plus de raison de continuer à l’habiter. Montand meurt d’avoir trop voulu viser. D’être trop minutieux. Trop de professionnalisme menace constamment de tuer l’instinct. Montand est ici une projection de Melville. Melville qui a toujours préféré la sensualité et la précision maniaque du geste à l’instinct mélodramatique du cinéma, menaçant de faire basculer son cinéma dans l’abstraction la plus muette. Pourtant, ses films, malgré leur beauté parfaite, restent émouvants. L’avarice des sentiments exprimés par ses personnages est le gage de leur fulgurance.
Dans les films de Melville, on s’éclipse en silence, on se réveille sans souffrir. Avant de vouloir rêver à nouveau. D’histoires d’honneur et d’amitié. D’histoires d’amour esquissées. Esquissées par des regards, par des frôlements d’âmes. D’histoires en noir et blanc, entre des flics et des truands. D’histoires de résistants. D’histoires révolues.
Un flic
Quelle est la vérité du cinéma ? On l’a dit, bien souvent, un désir d’étreinte. Quelle est celle d’Un flic ? Celle d’un poème couchant de Verlaine. Soit une larme, bleue rimelle, d’un poignant travesti éconduit par ledit flic campé par Alain Delon. Donc, un désir d’étreinte échoué entre Alain Delon et le travesti en question. Autrement dit, un personnage qui, comme Melville, s’est inventé une vie, qui aurait aimé être quelqu’un d’autre. Le coeur secret du film réside dans cette délivrance lacrymale, dans cette échappée belle et douloureuse, dans cette vérité. Dans son dernier métrage, le plus intime, Melville filme le désir d’étreinte de son âme bleue avec l’océan souverain filmé au début. Juste avant le braquage orchestré par Richard Crenna. Avant l’histoire policière épurée comme un diamant, avant l’histoire d’amitié entre le flic et le truand, avant l’histoire d’amour entre ces deux-là et Catherine Deneuve. Autrement dit, les fausses pistes. Aussi langoureuses fussent-elles.
L’homme et la mer
Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton cœur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes,
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !
Charles Baudelaire.