Dans le secret azur de ses cieux, j’ai vertige à voir de précieux mirages, et l'espoir de naître, et d'une larme et d'un nuage. Avant que l'oiseau Nue ne chante à l'aube.
Dire, chez Mamoru Oshii, qu’en toute poupée cassée on peut voir un ange s’envoler, qu’en toute plume ou tout flocon de neige versé, on peut voir un ange pleurer, pour absoudre ou sanctifier.
Open your mind
A raconter l'histoire d'un regard en mélancolie qui gagne des ailes et une lumière fabuleuses, Avalon et Ghost in the shell, grâce à la vision sans limites de Mamoru Oshii et à la composition extatique de Kenji Kawai, ont l'immense beauté de nous faire épouser la naissance et l'envol d'un ange. Et la couronne de l'oubli de disparaître...
Je suis Ash.
Je suis Motoko.
Dans l'oeil d'Oshii
A la recherche de l’Ombre…
Dans un champ de blé où des hommes se font une guerre virtuelle, soudain, un rayon de lumière pure troue un ciel fermé et opaque, téléportant une héroïne, depuis un échec collectif, solitaire. Ses yeux de feu embrasent son sinistre univers et leur funèbre jeu. Sa mèche cendrée qui foudroie et consume les autres joueurs lui doit son surnom de Grey Lady. Son âme ardente et rebelle perçoit au loin une haute et noble chanson qui parle d’une île de légende. Il est dit que beaucoup ici bas, dans le monde sépia où “vit” la dame en gris, ne font que de la figuration. Dans notre monde, ce sont des âmes retenues, en peine, ou éteintes ou en sommeil. L’âme n’a suffisamment de feu et de magie à rester prisonnière d’un corps triste. L’âme, pour ici bas nourrir sa lumière, retrouver un peu de son invincibilité et de sa grâce, a besoin d’un corps fétichisé et ludique. Nous dit aussi Oshii. Il est dit également que dans ces mondes alternatifs, les bassets hound ou les chiens-loups, les colombes ou les mouettes, sont des miroirs et des phares. Qui reflètent nos solitudes et se donnent en jalons. Qui donc, sont autant de brèches dans nos amnésies. Et pour la dame en gris, célébrée par un c(h)oeur d’opéra, après avoir chassé des fantômes, retrouvé et capturé l’Ombre, de se souvenir et de réintégrer son immortelle patrie.
Fais-moi entrer…
A V A L O N
Innocence ou le miroir aux alouettes
La perfection n’est possible que pour ceux qui n’ont pas de conscience, ou ceux qui sont dotés d’une conscience infinie. Autrement dit, pour les poupées et les dieux. En fait, il y a un monde d’existence comparable aux poupées et aux dieux. (Les animaux ?) Les alouettes de Shelley sont plongés dans une joie profonde instinctive. Une joie que nous les humains à cause de notre timidité ne connaîtront jamais.
A quel point les miroirs affectent et falsifient la vision des hommes, leur perception du cosmos ? A quel point les reflets renvoyés nuisent à notre rapport à l’univers, nous interdisent la Joie, nous limitent, nous contraignent à la nostalgie, à la mélancolie, ou à la vanité ? L’homme n’a rien à gagner avec un examen minutieux, nous répond Mamoru Oshii dans Innocence, le second opus de Ghost in the shell. Aussi, d’avoir les yeux plus gros que le cerveau, de prendre ses rêves de gloire pour des réalités, l’homme se perd. Et ne donne que trop peu d’énergie positive à l’univers. Motoko Kusanagi, l’Eve future, l’a bien compris en rejoignant un océan de pensées, le Net infini. Abandonnant ainsi un besoin de reflet(s) pour être et s’épanouir. Tandis que Locus Solus la société tentaculaire de demain est le grand miroir aux alouettes du futur de l’homme. Une glorieuse et merveilleuse apparence à travers une grandiose cité et de flamboyants carnavals, qui cache un sombre secret dans ses poupées censées ne jamais dire non. Un secret d’emblée révélé (pour peu qu’on ait l’oeil prévenu ou affuté) lors du sublime générique, segment retraçant la conception et la naissance d’une de ces sexaroïdes. Un reflet dans son oeil bleu dévoile en effet un poignant fantôme. Un fantôme qui, prisonnier d'une enveloppe non désirée et promise à une dégradante corruption, dira non. Innocence, outre un fantastique miroir aux alouettes, raconte ce non et un cri : Mais je ne voulais pas devenir une poupée. Avant de filmer l'envolée d'un ange via un cathartique To-o kami emi tame et la chute d'une poupée désarticulée : Je m’en vais. Un corps fragile et émouvant très provisoirement emprunté par le Major "revenu" d’entre les circuits du Net pour prêter main forte à son ancien équipier, le cyborg Batou. Le second volet de GITS, sommet de la SF et vertige essentiel, raconte ainsi un bouleversant appel à l’aide et le secours d'un duo sensationnel :
Aidez-moi, aidez-moi…
A la recherche de l'Eve future
To-o kami emi tame...
Quelle est la beauté première du cinéma d’Oshii et de Ghost in the shell en particulier ? Un désir de fusion, pour combler une volonté d’accomplissement, donc d’élévation, et au-delà, à l’instar de Tarkovski, un désir d’embrasser la grâce des anges. Autrement dit de faire l’amour. Avec soi-même d'abord. Pouvoir embrasser son reflet avant de pouvoir se mélanger à l’autre et au cosmos, sans préjudice de son intégrité. D’abord, désir de cinéma, désir esthétique, désir pour Oshii de fusionner avec son art. Où il est dit que le cinéaste imprime dans chaque fragment de pellicule et dans chaque note de musique, le reflet de son âme mélancolique. Velléité d’accomplissement à travers un art donc, et bien-sûr pour les personnages de ses films. Des personnages en proie à un malaise existentiel, à un manque, à une absence, à une solitude. Dans Ghost in the shell, désir pleinement assouvi par l’union métaphysique de Motoko Kusanagi et du maître des poupées, scellée, sanctifiée par l’apparition d’un ange, au moment même où leurs véhicules, devenus désormais obsolètes, sont détruits. Une union également cyberspatiale pour libérer une énergie supérieure et considérable. Dans Avalon, désir assouvi quand Ash gagne son droit d’accès à l’île mythique éponyme. Dans Innocence, désir laissé en suspens, mais plus que jamais explicite lorsque la chanson du générique de fin entonne "Follow me", priant ainsi Batou de la rejoindre, elle, Motoko, l’Eve future.
Où va aller la nouvelle-née ?
Corps et âme
Veni sancto spiritus, çà fait un bail major, comment dois-je m’adresser à toi ?, c’est ainsi que Batou accueille Kusanagi dans Innocence, le second volet de Ghost in the shell. Le véhicule, la communication et l’âme, telles sont les préoccupations du cinéaste et les questions qu’il pose, telles sont les problématiques rencontrées par ses personnages. Peintre, poète et philosophe, Mamoru Oshii infuse à ses images et à sa mise en scène un sens métaphysique éblouissant et vertigineux.
Quand l’âme du second opus est cette fillette promise à devenir une gynoïde (androïde conçue à des fins sexuelles), l’âme du premier est le major Motoko Kusanagi, cyborg au corps sublime chargé, au sein de la section 9 du ministère de l’intérieur, de mettre fin aux agissements de pirates informatiques. Ghost in the shell parle de sa quête d’identité : Motoko veut savoir si sa mémoire est réelle ou inventée, si le "fantôme" a existé avant d’être implanté dans la "coquille". Le film trouve sa conclusion dans un ancien muséum d’histoire naturelle, sur la fusion quasi-divine entre le maître des poupées (en quête d’une enveloppe) et Kusanagi (en quête de son âme). L’Evolution de la Vie vient de franchir une nouvelle étape, pleine de promesses : la conscience, humaine ou non, vient de trouver un nouveau vecteur pour exister et se perpetuer indéfiniment : la matière n’est plus indispensable. Comme Mike, l’ordinateur central de Révolte sur la Lune, le formidable roman de Robert A. Heinlein, et comme Hal de 2001, le puppet master, au fil des informations qu’il a acquises, s’est transformé en entité consciente.
Quand je danse, une belle fille se laisse aller au fil du vertige. Quand je danse, la lune qui m’éclaire fait résonner certains souvenirs, Dieu descend du ciel pour assister au mariage et l’oiseau Nue chante à l’aube.
Ces paroles sont celles du score terrassant de Kenji Kawai, elles s’inspirent de la poésie japonaise classique vieille de 1000 ans. Elles sont le reflet de mon sentiment d’avoir été bercé par une sensualité et une poésie magnifiques, en goûtant aux intenses et délicieux “stripteases” de Kusanagi, en assistant à sa naissance et à sa mort physique, à sa réincarnation, en plongeant aussi dans son regard immense, jusqu’à l’extase.
A vouloir éveiller la conscience des hommes, Mamoru Oshii le Grand philosophe donne aussi à ses personnages la faveur et le pouvoir de réveiller l'esprit de Dieu, grâce à cette invocation shintoïste finale à vous libérer l'âme : To-o kami emi tame...
A la recherche de Gabriel
Flairant l'éternité de son museau difforme,
Là, dans l'ombre, à tes pieds, homme, ton chien voit Dieu.
Victor Hugo. Mamoru Oshii aussi. Dixit Avalon, Ghost in the shell et Innocence.
L'homme est l'unique point de la création
Où, pour demeurer libre en se faisant meilleure,
L'âme doive oublier sa vie antérieure.
Victor Hugo, Les contemplations.
Avalon
Y a t-il une limite au cinéma d’Oshii ? On peut se poser la question tant ce dernier repousse sans cesse les frontières. Les abolir a toujours été le dessein du génie nippon. A l’image de tous ses films, Avalon est une quête. Une aventure virtuelle pour se soustraire de l’ennui et de la solitude, comme remède à la banalité et à la médiocrité du quotidien. Un voyage au centre du cerveau humain : électrique, traversé de courants alternatifs. Un voyage excitant et contemplatif. Un voyage du langage. Un voyage en sépia, esthétique et fétichiste, poétisé par des rimes et des sonnets cinématographiques toujours aussi saisissants. Un voyage dans le Grand Nulle Part, habité par les images de Bergman et de son Septième sceau. Un voyage obsédé par le regard de son héroïne, lui-même hanté par celui, immense et songeur, d’Anna Karina dans Alphaville. Un voyage et un regard en mélancolie. Une quête existentielle, habitée par Scott et son Blade Runner, par Tarkovski et son Stalker.
Au bout du voyage, un vertige toujours aussi métaphysique et renversant. Se libérer de la condition humaine, tout en révélant son humanité, tel est le Grand Dessein et le Grand Rêve selon l’otaku Oshii. A l’instar de ses précédents opus, Avalon est un grand film sur notre condition restrictive et la possibilité d’y échapper. Dans le corps (en tant que véhicule et médium) et dans l’esprit. Nul doute que le graal pour Mamoru Oshii et ses héroïnes est d’atteindre le Grand Paradoxe, celui d’acquérir une conscience humaine supérieure (l’Elévation) libéré du carcan physique et faillible. Un nirvana cybernétique en somme.
Ici aussi : Mamoru Oshii